Ce mercredi 14 septembre, un buste représentant Bhumibol Adulyadej a été installé dans le pavillon thaï du parc du Denantou, à Lausanne. Ce monsieur est décédé en 2016. Il aurait beaucoup aimé qu’on dépose ces 50 kilos de bronze, au vu de tout promeneur flânant dans le parc qui borde le lac. Car, lorsqu’il régnait sur la Thaïlande, de 1946 à sa mort, Bhumibol Adulyadej, dit Rama IX, a poussé le culte de la personnalité à son sommet.
L’Association des anciens étudiants thaïlandais en Suisse, qui a fait cadeau du buste à la ville de Lausanne, participe à ce culte de la personnalité. Présents à la cérémonie, le syndic Grégoire Junod, la présidente du Conseil d’État Christelle Luisier et le diplomate Heinrich Schellenberg s’en accommodent volontiers. Si ce n’était que cela, cela serait juste risible.
«Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent les atteintes aux libertés, les refoulements arbitraires de réfugiés aux frontières, des cas de tortures et de disparitions forcées… et l’extension du crime de lèse-majesté comme outil de répression et de censure.»
Le hic, c’est que c’est carrément funeste, car, en Thaïlande, ce culte de la personnalité s’appuie sur la répression du crime de lèse-majesté, solidement inscrit dans le Code pénal. Nouveau roi depuis la mort de son père Rama IX, Rama X poursuit dans cette ligne. Sa frangine, la princesse Maha Chakri Sirindhorn, était mercredi au Denantou pour la cérémonie d’installation du buste.
L’œuvre représente Bhumibol à l’âge de 20 ans, en étudiant lausannois lunetteux. C’était avant qu’il se visse sur son trône. En 1999, il décide d’offrir un pavillon thaï traditionnel à la ville de Lausanne. L’ancien syndic Daniel Brélaz, qui a rencontré plusieurs fois le roi, est emballé. Le pavillon thaï est inauguré en 2009, avec la princesse. En 2016 peu avant la mort du roi, une cérémonie officielle pour les 70 ans de son règne réunissait au Grand Conseil Grégoire Junod, Pascal Broulis et un ancien ministre thaïlandais. Nos autorités entretiennent avec une certaine constance le lien avec cette monarchie. L’utilité de ce pavillon doré à la feuille est aujourd’hui renouvelée: Sa Majesté de bronze ne sera pas lésée par les giboulées.
Au fil des ans, Amnesty International et Human Rights Watch rappellent toutefois la sombre réalité de la Thaïlande. Dans leurs derniers rapports, elles dénoncent les atteintes aux libertés, les refoulements arbitraires de réfugiés aux frontières, des cas de tortures et de disparitions forcées… et l’extension du crime de lèse-majesté comme outil de répression et de censure.
Amitié et droits humains
«Les autorités ont recommencé à recourir aux lois sur le crime de lèse-majesté, ce qui n’était pas arrivé depuis deux ans, écrit ainsi Amnesty International dans son dernier rapport. Entre janvier et novembre, 116 personnes au minimum, dont au moins trois mineurs, ont été accusées de crime de lèse-majesté. Parmi elles se trouvait Anchan, ancienne fonctionnaire, condamnée à 87 ans de réclusion pour avoir partagé des fichiers audios sur les réseaux sociaux. Sa peine a été réduite de moitié après qu’elle a plaidé coupable. En mars, la police a arrêté et inculpé deux jeunes filles de 14 et 15 ans pour avoir brûlé des photographies du roi.»
Dans le parc du Denantou, il y a donc comme une enclave thaïlandaise. Nos élus s’inclinent devant ce «symbole d’amitié entre les populations des deux pays», écrivent-ils. Soit.
Puisqu’il s’agit d’amitié, à défaut de déboulonner le buste fraîchement scellé, Lausanne aurait mieux à faire. Le parc du Denantou est bordé d’un quai, aujourd’hui appelé quai d’Ouchy. Il suffirait de le rebaptiser quai des Droits Humains. Sous le nez de bronze de Bhumibol.
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Carte blanche – Il va falloir rebaptiser le quai d’Ouchy
Pendant que nous regardons la monarchie britannique couronner une nouvelle tête, nos autorités participent au culte de la personnalité de la monarchie thaïlandaise, peu connue pour son respect des droits humains.