La nouvelle est passée relativement inaperçue à la fin de l’année dernière mais elle se rappelle au bon souvenir du produit YouTube (car quand c’est gratuit, vous êtes le produit) à chaque visite de celui-ci sur la plateforme de vidéos. À première vue, rien de changé sur le tableau de bord: en haut, la barre de recherche, puis la vidéo avec, en dessous, les informations liées. Et, à droite, les fameux pouces de Monsieur YouTube, l’un dressé vers le haut pour s’exclamer «J’aime» tel la famille française dans une publicité des années 1990 découvrant la restauration rapide, l’autre pointé vers le sol pour maugréer «J’aime pas» tel Tibère damnant d’un «vae victis» mutique le gladiateur qui laissa trop sec le sable des arènes.
Un matin, donc, le produit YouTube se prend à flâner sur le site et choisit, au hasard, un clip d’Angèle. Or, la musique d’Angèle déplaît fortement au produit YouTube, qui décide d’épancher sa légitime insatisfaction en offrant son obole statistique à la firme américaine, tel qu’elle l’en encourage par son bouton en forme de pouce pas content. «Clic!» Et… rien! Le compteur ne s’affiche plus, son courroux n’est pas mis en nombres, du moins ne sont-ils plus visibles: un message indique au produit YouTube que son retour a été transmis au propriétaire de la chaîne – lequel, au passage, n’est pas forcément le créateur de la vidéo.
Bon. Le produit YouTube s’en remettra, Angèle aussi. Il n’empêche que la politique du réseau social laisse songeur. Seuls les avis positifs, traditionnellement dix à cent fois plus nombreux, sont désormais chiffrés et exposés. En novembre dernier, l’entreprise a précisé que cette dissimulation devait empêcher l’effet de meute, les clics négatifs entraînant les clics négatifs comme le sang appelle le sang. Peut-être.
Mais cette étrange pudeur où seules ont droit au compteur les opinions bienveillantes, cette très anglo-saxonne hypocrisie qui bichonne les armes à feu mais craint les gros mots, cette manière de proposer deux boutons dont un seul fonctionne évoque la farce absurde d’un ministère du Bonheur obligatoire. Quand on joue le jeu du pour/contre, on le joue vraiment, sans infantiliser sa clientèle – mais peut-être le mérite-t-elle? L’effet «L’école des fans» où tous les enfants ont gagné devient ici, dans le jargon marketing en bois massif de YouTube, «la volonté de créer un environnement inclusif et respectueux qui permette aux créateurs de connaître le succès et de s’exprimer en toute sécurité». Merci.
Une supposition non bienveillante: et si le caviardage des mauvais décomptes servait aussi à interdire les classements des vidéos les moins aimées? Ça tomberait pile-poil pour YouTube, dont le «Rewind» de 2018, résumant les temps forts des douze derniers mois sur la plateforme, occupait le sommet du podium avec 19 millions de «J’aime pas».La rédactionFrançois BarrasRubrique culturelle
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Grain de sable – J’aime pas trop YouTube