Il y a le «Cercle des poètes disparus» (Peter Weir, 1989), qui inspira toute une génération de petits et grands adolescents - «Carpe diem, Oh Captain, My Captain!» Il y a «Le cercle rouge» (Jean-Pierre Melville, 1970), à l’intérieur duquel les hommes finissent inexorablement par se retrouver, selon le précepte de Bouddha revisité à la sauce gangsters. Il y a «Le cercle de craie caucasien» (Bertolt Brecht, 1949), qui nous enseigne que le déchirant lâcher-prise d’une mère peut sauver la vie d’un enfant. Et il y a le cercle de James - non, pas Bond.
James, on l’a rencontré voici deux semaines. Il est Kényan, il a 30 ans. Comme sa positivité flegmatique et son humour décapant pince-sans-rire font du bien, on est allé le revoir à deux reprises, histoire de s’extraire de la mêlée. Pour deviser de tout, de rien; de lui. Il faut dire que s’il n’est pas toujours simple à cerner, il est facile à trouver: dans son cercle, où il passe la moitié du temps que lui offre la vie, entre 6 plombes du matin et 18 heures, à la nuit tombée.
Son cercle, James nous l’a dessiné virtuellement sur une verte pelouse. Il mesure entre 6 et 8 mètres de diamètre, dans un secteur excentré du parc Al Bidda, l’un des points névralgiques de cette Coupe du monde. Il n’a pas le droit d’en sortir, jamais, sous aucun prétexte et pour cause. Ici, il ne s’agit pas de canaliser les supporters de la fan zone voisine, mais de veiller à ce que personne ne s’approche trop du palais de l’émir.
Chaise et parasol
S’il tourne parfois en rond dans son cercle, l’homme n’y bulle jamais. Pour le soutenir dans sa monotone mission, le gardien possède, outre sa patience et son sens de la philosophie, deux atouts précieux: une chaise pliable et un parasol végétal. Comme dans la chanson de Georges Brassens, auprès de son arbre, il a l’air heureux.
«De toute façon, au Kenya, il n’y a pas de travail.»
Débarqué au Qatar à la fin septembre, James fait partie de ces centaines de milliers de travailleurs immigrés, dont tant ont été exploités ou pire encore. Mais pour lui, ce contrat de deux ans chez Al Nasr Star Security Services, c’était le graal. Il a galéré plus de cinq ans pour le décrocher, de faux contacts en agences véreuses, allant jusqu’à payer en vain des commissions occultes à des intermédiaires pas catholiques. Puis le marché a été conclu, logement compris - collectif mais correct. Son salaire? Il n’articule pas de chiffre, mais son sourire gourmand en dit long. «De toute façon, au Kenya, il n’y a pas de travail.» Le bonheur peut être à la fois très circonscrit et illimité.
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Mirages – Chronique du Qatar – James et son cercle vertueux
Il est Kényan, il a 30 ans. Son graal? Passer douze heures par jour auprès de son arbre.