Mettez-vous au régimeJoann Sfar, quelle belle enflure!
«Comment maigrir» s’exclame le diariste impénitent, avant de se goinfrer de confidences hilarantes ou tendres.

Joann Sfar le sait bien, il exagère. Toujours à griffonner, cogiter, publier… même son éditeur le gourmande, laisse planer la menace d’une censure, compression qui forcerait, telle une statue de César, le prolifique cinéaste, romancier et dessinateur à bloquer sa créativité boulimique. Ici s’esquisse une ambition sous-jacente à «Comment maigrir», bouquin compact qui ambitionne de carburer au bon régime et de retrouver la forme olympique.
«Moins je maigris, plus mon carnet grossit.»
La première entrée de ce journal expose un problème qui se révélera mineur: «Moins je maigris, plus mon carnet grossit». Et le farceur d’évoquer son patron qui lui explique qu’au-delà de 300 pages, son ticket n’est plus valable. Avec la mauvaise foi jubilatoire, le Niçois s’excuse avec une galéjade. Sa condition de feuilletoniste l’autorise à mincir au prochain épisode et à rester une onctueuse «grosse moulagasse». L’ouvrage compte près de 400 feuillets et, finalement, traite très peu de ces histoires de gras-double.

Ici, il ne s’agit pas tant d’épurer sa ceinture abdominale avant de quelconques parades à la plage que de clarifier la masse cérébrale menacée d’obésité morbide. Première mesure, renoncer à ce téléphone portable greffé à sa main qui empêche ses doigts de crayonner. But avoué: retrouver la spontanéité graphique des carnets d’antan, cette splendeur brouillonne qui lui permettait de lâcher les vannes de son cœur, de son âme.
«Je crois qu’il faut des missionnaires du doute, de la nuance, de la lecture; des phrases longues, des mots oubliés.»
Mais déjà, les ambitions voltigent, les anecdotes tentent le diable. À la mort de son paternel, Sfar avoue avoir pris 15 kilos, perdu le goût du dessin. Une nouvelle paternité à 50 ans, l’an dernier, lui donne, dit-il, l’envie de se voir vieillir. Avec son lardon, l’énervé déguste, en remet une couche philosophique pour éponger le flux quotidien. «Je constate que plus un enfant acquiert de mots, moins il pleure pour se faire comprendre», déduit le jeune père face aux borborygmes d’Ilyusha.
«La pire chose qui puisse vous arriver, c’est qu’ils vous comprennent.»
Entre deux gazouillis, le technicien a engagé le coach des «plus belles paires de fesses du cinéma» pour profiler les siennes et laisse pousser une barbe sur son double menton. La méthode de «Comment maigrir», lance-t-il tout de go, mieux vaut ne pas en attendre un allègement pondéral quelconque. Par contre, une étrange lucidité de moine zen émerge dans les marges, colle au bord de l’abîme et tape au ventre.
Sa fille aînée lui interdit la moindre allusion dans ses carnets, son cadet s’en fiche, sa dernière compagne lui a demandé d’évoquer son viol. L’auteur insiste qu’au fond, il ne parle que de lui, l’enragé impuissant. «Je crois qu’il faut des missionnaires du doute, de la nuance, de la lecture; des phrases longues, des mots oubliés. Si l’on n’acquiert pas de quoi nommer le réel, on retourne au beuglement. Au mugissement.» Alors il énonce.
Désillusion contemporaine
Sfar raconte par exemple que personne ne l’interroge plus jamais sur le contenu de la saga du «Chat du rabbin». La désillusion l’attriste mais le rend invincible. «La pire chose qui puisse vous arriver, disait son collègue penseur Clément Rosset, hilare, c’est qu’ils vous comprennent.» Et le chroniqueur de son nombril toujours plus profondément centré de constater: «Nous sommes des noyés en puissance dont la bouche, un instant, affleure entre les vagues, un cri avant de sombrer.»

«Comment maigrir»
Joann Sfar
Ed. Gallimard, 386 p.

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