L'amoureux des rivières s'est créé son aquarium
Le biologiste Jean-François Rubin est comme un poisson dans l'eau à son poste de patron de la Maison de la Rivière.

Pour la plupart des gens, les passions enfantines passent une fois l'adolescence révolue. N'allez pas dire ça à Jean-François Rubin, qui vient de publier «La Rivière au fil de l'eau et du temps», ouvrage dans lequel il évoque notamment son attrait pour le milieu aquatique. Cette passion puise sa source dans la tendre jeunesse de l'auteur. «J'avais un aquarium dans ma chambre et j'essayais de créer des conditions idéales pour la reproduction des poissons, se souvient-il. J'ai ruiné le parquet de la maison un bon nombre de fois à cause de fuites d'eau, au grand désespoir de mes parents!»
Des années plus tard, de l'eau a coulé sous les ponts et le biologiste se retrouve dans le cadre d'une thèse de doctorat, au fond du Léman à bord du sous-marin F.A.-Forel et au côté d'un pilote fameux. «J'ai eu une énorme chance. J'ai fait la rencontre de Jacques Piccard, qui m'a permis de plonger avec son sous-marin pour en apprendre plus sur la reproduction des ombles chevaliers. Je devais plonger une année, je l'ai finalement fait pendant vingt-cinq ans.» Après sa thèse, le citoyen de Lully s'en va au milieu de la mer Baltique sur l'île suédoise de Gotland, dans le but d'étudier les truites. «J'ai fait la connaissance de gens extraordinaires, dont les membres de la société de pêche: 80 ans de moyenne d'âge et du sang viking dans les veines! On est devenus amis.» Comme les espèces migratrices qu'il étudie, Jean-François Rubin va retourner chaque hiver à Gotland, onze ans de suite. «J'y ai appris la renaturation des cours d'eau, c'est-à-dire recréer des conditions favorables pour permettre aux poissons de se reproduire.»
De retour en Suisse, Jean-François Rubin convainc l'inspecteur de la pêche du Canton de Vaud de lancer un projet de ce type. «Classiquement, lorsqu'on était face à une rivière polluée, on disait jusqu'ici: on élève des poissons en pisciculture et on les remet dedans. Ça n'a aucun sens, car ce n'est pas comme ça que vous faites disparaître la pollution. À l'inverse, si vous améliorez la qualité de l'eau, les poissons reviendront d'eux-mêmes et y vivront pendant des générations.»
Le Boiron, dans la région morgienne, est alors tout indiqué pour faire office de rivière-pilote. Pas trop grand et doté d'un fort potentiel biologique, le cours d'eau présente divers problèmes entravant le développement naturel des poissons. L'Association Truite-Léman est créée et y travaille durant des années. Un jour, en se promenant sur les berges de la rivière, Jean-François Rubin remarque un austère bâtiment aux portes blindées et entouré de barbelés. «Il servait de dépôt pour les collections du Musée militaire vaudois. J'ai alors suggéré, sous forme de boutade, à mon ami Albert Dutoit, colonel responsable de l'arsenal, de déplacer ses canons pour faire quelque chose d'autre à la place. Contre toute attente, il a répondu positivement!»
La grande aventure de la Maison de la Rivière est lancée. Le bâton de pèlerin empoigné, Jean-François Rubin entreprend les démarches nécessaires à la transformation du bâtiment, trouve les soutiens, obtient les autorisations… En 2015, après quatre ans de travaux et 12,5 millions de francs investis, le «bébé» vient au monde. Avec une fierté chez son géniteur. Les activités de la Maison de la Rivière sont concentrées sur trois pôles: la recherche, l'éducation à l'environnement et la valorisation des patrimoines naturels et culturels. «Des centres nature, il y en a plein en Suisse, mais c'est à mon sens totalement insuffisant, déclare celui qui est aussi professeur HES à la Haute École du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève (HEPIA) et privat-docent à l'UNIL. Il faut y présenter la nature et la culture, car elles sont toutes deux complètement interpénétrées, mais aussi y faire de la recherche, de l'éducation…»
Le goût de la transmission
Jean-François Rubin aime avant tout transmettre son savoir. Et ça se voit. «C'est quelqu'un qui sait vraiment bien raconter des histoires, témoigne Émilie Staub, qui l'a connu sur les bancs de l'université avant de devenir stagiaire à la Maison de la Rivière, puis son assistante d'enseignement à l'HEPIA. On est subjugué par ce qu'il raconte, on boit ses paroles.» Nombreux sont les étudiants qui, comme elle, se sont rendus, les yeux écarquillés, sur le site au bord du Boiron.
«On est une sorte de laboratoire de terrain pour les hautes écoles, commente Jean-François Rubin. Les élèves d'une dizaine d'entre elles viennent travailler ici et plus d'une soixantaine de travaux sont partis de ce qu'on y fait.» Le sourire du Lulliéran en dit long sur la satisfaction qu'il a d'évoluer dans son biotope. «Ce que j'aime beaucoup, c'est transmettre ma passion et montrer à quel point la nature est belle mais aussi extrêmement fragile. Quand on voit qu'on a des rivières dégradées, on peut s'asseoir sur la berge et pleurer un éden perdu, ou alors on se dit qu'à notre niveau on peut modestement faire quelque chose. Je suis plutôt de cet avis-là.»
Comme une évidence, l'amoureux de la nature aime œuvrer pour la génération suivante. Et, à l'image du combat pour l'écologie, c'est une lutte de chaque instant. «La vie n'est pas un long fleuve tranquille, même à la Maison de la Rivière, image-t-il. Les hautes écoles et le Canton nous soutiennent, mais ça ne suffit pas à notre survie et on doit trouver des mandats. Il fut un temps où je me baladais à Gotland. Aujourd'hui, je suis derrière mon ordinateur et j'espère envoyer mes étudiants dans de tels endroits. C'est l'évolution naturelle des choses.»
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.