L'as de la finance rêvait plutôt de devenir Balzac
L'homme d'affaires d'origine égyptienne, grand connaisseur du Moyen-Orient, écrit des romans qui dénoncent

Le personnage Nabil Malek a quelque chose d'énigmatique. Pourquoi ce Lausannois d'origine égyptienne offre-t-il à ses connaissances des loukoums du Liban? Pourquoi cet homme d'affaires écrit-il des romans qui dénoncent l'argent sale et la corruption? Pourquoi cet immigré qui affirme solennellement «détester les frontières qui le rendent claustrophobe» se montre-t-il parfois critique envers l'immigration? Autant de paradoxes apparents. Pour les dépasser et comprendre Nabil Malek, il faut raconter son histoire.
«J'ai toujours été un grand minoritaire», affirme ce sexagénaire habillé avec grand soin. Visage du sud, voix chaleureuse. «Je suis un chrétien copte d'Egypte, mais au sein des Coptes, j'appartiens à la minorité catholique.» Il égrène des souvenirs d'enfance au Caire. Évoque la figure d'un grand-père à la cour du roi Farouk. En 1963, sous le régime de Nasser, son père est brièvement emprisonné: il émigre en Suisse avec sa famille, avant de partir s'installer au Liban, laissant son épouse et son fils à Lausanne. Depuis lors, la vie de Nabil Malek est devenue «un triangle entre la Suisse, l'Égypte et le Liban.»
Son adolescence se passe dans «un petit appartement exigu et bruyant dans un immeuble sur le plateau de Béthusy. Ma mère et moi frôlions constamment la pauvreté crasse.» À l'école, il devient encore plus minoritaire. Lui qui parlait jusque-là principalement l'anglais et un peu d'arabe, se met au français. Il travaille dur, prend des cours particuliers d'allemand, poussé en cela par sa mère. «Grâce à elle, je ne suis pas crispé sur une autodéfense et une survie, mais je cherche à m'intégrer et à exceller pour remplacer ce que ma famille a perdu.» En 1969, il passe sa matu et écrit la meilleure dissertation du canton. La fierté l'auréole encore, un demi-siècle plus tard, à l'automne de sa vie. Il veut faire les Lettres. Sa mère le pousse vers l'économie. Diplômé HEC en 1974, il affirme avoir déjà exercé à ce moment-là une dizaine de jobs alimentaires: «Je gagnais bien ma vie, je savais gérer de l'argent et je le faisais pour des gens qui n'avaient pas besoin de le cacher mais voulaient le faire fructifier.»
L'histoire d'une réussite
Il travaillera dans plusieurs grandes sociétés industrielles, puis dans la finance. En 1994, la banque Merrill Lynch l'envoie à Dubaï. Il y restera 17 ans et dirigera ensuite l'antenne locale de l'Union Bancaire Privée (UBP). «Le succès a été phénoménal», raconte celui qui a vu la métamorphose d'un ancien port de pêche en un haut lieu de la finance internationale. Nabil Malek, c'est l'histoire d'une réussite, la revanche d'un immigré qui ne partait pas avec tous les atouts. À 67 ans, il continue d'investir pour de riches familles du Moyen-Orient à partir de son bureau du Caire et de plusieurs points de chute en Europe, tandis que sa femme gère le patrimoine immobilier en Suisse.
Mais ce récit n'éclaire qu'une facette de Nabil Malek. Le financier nourrit une passion pour la littérature. Il connaît par cœur les moralistes du XVIIe siècle, les poètes, disserte sur Clément Marot ou Albert Camus. Depuis 2008, il écrit. Il a publié cinq romans qui mêlent de vastes intrigues à des réflexions sur ce Moyen-Orient qu'il connaît comme sa poche. «Plutôt qu'un homme de plume, je suis un homme d'oral. J'ai beaucoup d'histoires à raconter.» Au passage, il dénonce. Dans son recueil de nouvelles intitulé Dubaï, la rançon du succès (2012), il dévoile la face sombre de la réussite: blanchiment d'argent, mafia, drogue, prostitution forcée… «À Dubaï, l'argent est un dieu et on lui sacrifie tout.» Ce livre, interdit aux Émirats, lui a valu des menaces. Il n'y est plus retourné depuis la parution.
Capitaliste avec des idéaux
Dans La reine de Beyrouth, paru l'an dernier, il récidive avec le Liban. Une double intrigue dénonce les magouilles et la corruption. On s'étonne. La prudence ne commande-t-elle pas à un financier d'être discret? «Oui… Mais moi, je suis incapable de me taire», dit celui qui se reconnaît comme «un capitaliste humaniste avec des idéaux sociaux». Il se scandalise de la condition des homosexuels au Moyen-Orient, de l'inégalité entre hommes et femmes ou de l'intolérance religieuse. «Lorsque la religion n'est plus une croyance mais devient une appartenance, elle commence à être dangereuse.» Son éducation suisse fait qu'il «ressent d'autant plus durement les problèmes du Moyen-Orient. Il les dénonce, quitte à prendre des risques, car il en souffre et il aimerait que les choses changent», observe son ami Alain Toueg, aumônier à l'École supérieure de la santé à Lausanne.
Par ses origines et sa culture hybride, Nabil Malek a coutume de se définir comme «un trait d'union» entre les cultures. Le polémiste en lui n'est-il pas plutôt un trait de désunion? Il s'en défend. Il rêverait tellement d'un Moyen-Orient qui ressemblerait à cette Suisse où les communautés, les langues et les religions coexistent dans la tolérance. «La Suisse m'a tellement donné que je ne pourrai jamais rembourser ma dette. J'aime ses valeurs.» Entre confession et idéaux, la nostalgie affleure. Comme ce jour où, dans une brasserie lausannoise, il a payé du champagne aux inconnus de la table d'à côté uniquement parce qu'ils parlaient arabe, la langue de ses parents. Quand on se quitte, Nabil Malek s'en va à pied. Il a renoncé à se payer une voiture. «La possession tue les plus immenses poèmes du désir», lance-t-il en citant Balzac.
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