«L'huître, c'est un voyage en mer de 30 secondes»
Floriane Mésenge, actrice et écaillère.
Elle s'appelle Mésenge. Oui, comme l'oiseau – à une voyelle près. Floriane Mésenge, 33 ans, est comédienne et écaillère. Un rôle saisonnier un peu rustique dans lequel cette délicate créature se glisse avec délices depuis trois ans à l'approche des Fêtes: «Ça me fait du bien d'ouvrir des huîtres, c'est concret, ça me vide la tête.» Pas besoin de répéter: elle connaît son texte, la frêle Normande au regard préraphaélite; tout le vocabulaire de la mer, et aussi les gestes précis qui révèlent, à la pointe du couteau, ces subtils trésors visqueux à boire et à manger. Une douzaine d'huîtres ne lui résistent pas trois minutes: en un éclair, elle enfonce la lame, soulève le capot, vide la première eau et retire les éclats de coquille d'un frétillement expert du petit doigt. «Voilà! Bonne dégustation!»
Bonnet de laine enfoncé jusqu'aux sourcils, doudoune bleu canard et mains rougies au jus de bivalve, l'actrice virevolte dans un chalet blanc converti en cabane de pêcheur, au cœur du marché de Noël de la place Centrale, à Lausanne. Touffes de varech, pain de seigle du Valais, beurre salé de Bretagne, vin blanc de Lavaux ou La Côte, et bien sûr, bourriches pleines à craquer de succulents mollusques. Tout un univers gustatif à l'enseigne de l'Ecaillère, une échoppe très particulière créée par la comédienne vaudoise Jocelyne Page, experte en fruits de mer, pour donner du boulot à ses collègues en période de vaches maigres.
Floriane Mésenge a le bagout d'une poissonnière, sans les jurons: «Bonjour! Ah, vous revoilà? J'ai de la Cancale qui arrive dans trois minutes, mais si vous avez aimé la Perle noire d'hier, je vous propose sa copine, l'Ostra Regal: un bijou!» Conquis, l'homme saisit le coquillage, jette un œil averti sur la flaque nacrée dentelée de noir, hume, avale, s'extasie, commente, en redemande, repart ravi, ragaillardi. «Les gens sont contents, ils viennent ici s'offrir un petit cadeau, et nous, on fait tout ce qu'on peut pour les satisfaire. On essaie d'ouvrir leur palais à d'autres saveurs, à d'autres textures.» Car il n'y a pas que la plate ou la creuse: «La carte change tous les jours, nous travaillons avec quatre fournisseurs et plus d'une quarantaine de variétés d'huîtres.» La plus accessible du jour – tant financièrement que gustativement –, c'est la Boudeuse: «Je la propose volontiers aux gens qui n'ont pas l'habitude. Elle est toute petite, dodue, mignonne, sa chair est douce et j'ai entendu dire qu'elle doit son nom au fait qu'elle plaît même à ceux qui boudent les huîtres.» Elle gobe une Marennes d'Oléron: «Je n'ai pas le temps de manger, alors je picore. Le meilleur moyen de vendre le produit, c'est de le goûter.» Dans la cabane de l'Ecaillère, aucun temps mort. Dès que la clientèle reflue, Mademoiselle Mésenge coupe des citrons ou beurre des monticules de pain de seigle en prévision de la sortie des bureaux: «Les grosses soirées, il nous arrive de vendre jusqu'à 800 huîtres.»
«Ça me fait du bien d'ouvrir des coquillages. Ça me vide la tête»
Le chalet à l'odeur d'iode sert aussi de vitrine à une autre activité gourmande et festive: Food Fiction, une association d'artistes qui organise des événements sur des thèmes cinématographiques pour les entreprises et les particuliers. Chaque fin de semaine, les comédiens-écaillers se costument et font des démonstrations en musique – scènes de films, performances ou chorégraphies – devant les Portes Saint-François. Juste avant Noël, c'était Bollywood. Floriane Mésenge sans son bonnet. Méconnaissable en habit de lumière.
Son parcours? On apprendra par bribes, entre deux clients, qu'elle a failli passer à côté des planches. A 18 ans, elle tente en vain le Conservatoire de Bretagne, bifurque sur la sociologie et la psychologie, débute un master en Uruguay, loupe un examen à l'Institut français de Presse de Paris et tombe, à Genève, sur une annonce d'audition. Elle sera admise à l'école de théâtre lausannoise des Teintureries. Depuis, elle navigue entre les scènes françaises et la Suisse où elle travaille sur sa première mise en scène: Vinci avait raison, de Topor.
Couteau à la main, elle s'avoue végétarienne. Moue de tragédienne: «Parfois, je me dis «là, tu tues un animal!» Ça ne colle pas du tout avec les histoires éthiques que je me raconte. Et puis j'oublie. Il se passe tant de choses quand tu manges une huître. Toutes ces saveurs qui explosent dans la bouche! C'est un petit voyage en mer de trente secondes. Donc, ça vaut la peine.»
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