La baguette mondiale d'un Indonésien de Lausanne
Ce chef d'orchestre au destin tout sauf anodin dirige depuis un an les Cameristi de la Scala de Milan.

Pourquoi la diffusion de la «Sonate Appassionata» de Beethoven par Alfred Brendel ou encore celle de la «Symphonie inachevée» de Schubert a-t-elle eu tant d'effet sur un petit Indonésien de 5 ans? C'est un mystère. Mais depuis ce temps où son père mélomane lui faisait découvrir sa petite collection d'enregistrements sur le cassettophone familial, Wilson Hermanto a attrapé le virus de la musique classique et n'en a jamais guéri! «C'était mon premier contact avec la beauté, analyse le chef d'orchestre avec le recul. J'ai tout de suite été connecté à cette musique qui parle directement à l'âme. J'ai l'impression d'être né avec cette curiosité, cette envie de comprendre et de partager.»
Quand on le fait parler de sa jeunesse à Djakarta, il n'est effectivement question que de musique classique, dans un pays où cette culture n'est pas profondément enracinée. «Je me sentais différent», constate-t-il. On le comprend! Il l'était déjà par ses origines doublement minoritaires: d'ascendance chinoise et de religion chrétienne dans un pays à majorité musulmane.
«J'écoutais la cassette chaque jour quand je rentrais de l'école. Ma mère n'était pas très contente que je ne fasse que cela!»
Parmi ses souvenirs marquants, il y a ces deux soirées données par le New York Philharmonic Orchestra et Zubin Mehta. «Mes premiers concerts symphoniques, j'avais 11 ans. Mes parents m'en avaient parlé six mois à l'avance. Pour me préparer, j'avais acheté la cassette de la «5e Symphonie» de Mahler et je l'ai écoutée chaque jour quand je rentrais de l'école. Ma mère n'était pas très contente que je ne fasse que cela!» Pourtant, le petit Wilson apprend aussi le violon, avec un pionnier de la vie musicale de son pays, le violoniste et chef d'orchestre Adidharma, qui avait eu le privilège dans les années 1950 d'étudier à Amsterdam et s'était vu confier, à son retour dans l'ex-colonie hollandaise, la direction de l'Orchestre de la Radio. Quand Wilson Hermanto était violon solo de l'Orchestre des Jeunes sous sa direction, il lui confia pour la première fois une baguette: «C'était lors d'une répétition de la «Symphonie N° 2 Lobgesang» de Mendelssohn, j'avais 17 ans.»
Mais, à ce moment-là, il n'était pas encore question pour lui de viser ce métier. Son sésame, c'est le violon. À 19 ans, il s'inscrit dans plusieurs écoles prestigieuses aux États-Unis en envoyant un enregistrement et les recommandations de son professeur. Bingo! il est accepté partout, mais choisit d'aller à Baltimore sur la côte est, avec l'appui d'une bourse de son pays natal. Et, en quelques années rondement menées avec escales à Manhattan, Los Angeles et Cleveland, le violoniste prometteur avait troqué son archet pour la baguette et pris un tout autre envol.
La direction comme engagement total
Wilson Hermanto a encore un visage presque enfantin, accentué par le sourire lumineux qu'il arbore si volontiers. En le voyant diriger, on a l'impression d'entendre un jeune chef plein d'énergie et de passion, en pleine découverte de son métier. Mais si vous l'écoutez parler des dernières leçons de Carlo Maria Giulini qu'il a pu suivre avec trois autres chefs au début des années 2000, de sa proximité avec Colin Davies ou de Pierre Boulez qui le prend sous son aile, Wilson Hermanto révèle un parcours riche, diversifié et tout bonnement incroyable auprès des plus grands chefs.
À 46 ans, l'Indonésien ne fait pas étalage de ce pedigree. Il l'utilise pour expliquer son métier: «Battre la musique est simple; on peut l'apprendre à un enfant. La difficulté, c'est comment l'utiliser pour communiquer aux musiciens. Le geste, le regard, l'expression du visage, le corps doivent former un seul message qui doit être parfaitement clair dans notre esprit.» Il peut désormais déployer ses talents patiemment mûris en conduisant les Cameristi della Scala, la formation de chambre de l'orchestre de la Scala de Milan. «Après le succès d'un concert à Zurich l'an passé, les musiciens m'ont proposé d'être principal chef invité, et j'ai accepté cet honneur et cette première dans leur histoire.»
Zurich en 2017, mais aussi en 2003 avec Boulez pour la première académie du Lucerne Festival, et surtout 2005 à Lausanne, où il fait la connaissance d'Eli Karanfilova, l'altiste solo de l'OCL, lors d'une master classe animée par le légendaire Jorma Panula: la Suisse a toujours accueilli Wilson Hermanto à des moments clés de sa vie.
Bien qu'installé depuis des années avec sa famille à Lausanne, il dirige rarement dans la région. Mais il sera cet été avec les Milanais en clôture des Variations Musicales de Tannay le 26 août. «C'est un chef attachant, aimé et respecté de ses musiciens, témoigne Serge Schmidt, directeur artistique du festival de La Côte, ravi de l'accueillir. Il transmet une véritable passion, avec une fraîcheur et une vision très optimiste des choses. Il croit en la vie, en la musique, avec des étoiles dans ses yeux. C'est un «crocheur», pas du tout blasé. Et ça fait du bien!» Sa femme, Eli, le dit à sa manière: «J'admire son talent, son engagement, son intellect. Il travaille énormément, sans limites. Il a ce besoin de comprendre pour transmettre. Et il se lance!»
À propos, le maestro nous pardonnera sans doute de rappeler ce petit souvenir cocasse. En 2010, il dirigeait sans faillir la «Symphonie N° 1 Titan» de Gustav Mahler avec le Sinfonietta de Lausanne. Dans sa fougue, la baguette avait même décollé durant le finale, partie dans quelque orbite céleste. Voilà qui traduit bien l'enthousiasme d'un musicien que rien n'arrête.
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