La douceur de l'aquarelle pour des visages mutilés
L'artiste vaudoise Corinne Cap est allée soutenir et portraitiser les Indiennes au café où elles travaillent à Agra. Avec des proches, elle prépare pour l'automne un livre prometteur et altruiste

L'idée est née dans un soir de confort helvétique, très loin de l'Inde. Corinne Cap et son futur mari, Marc Sieber – elle infirmière et aquarelliste, lui psychologue – zappaient sans trop d'espoir quand ils se sont retrouvés fascinés et bouleversés par un reportage sur les femmes défigurées après avoir été vitriolées. L'émission présentait les opérations de reconstruction des visages, au Pakistan, par le Dr Mohammad Jawal, chirurgien plastique. Les futurs époux décident alors que pour leur mariage, ils ne recevront pas de cadeaux mais des dons qu'ils ont spontanément l'intention d'aller apporter à ces femmes brûlées à l'acide.
Quelques mois plus tard, ils apprennent l'existence du Sheroes' Hangout, un café proche du Taj Mahal, en Inde (voir «24 heures» du 24 juin), tenu par les victimes et soutenu par l'association Stop Acid Attacks. Corinne et Marc décident d'y aller. Ils ne se cachent pas la réalité: un tour sur Internet les conforte dans la certitude que regarder le visage détruit de ces femmes est difficile, parfois insoutenable. Ils veulent se préparer au moment où ils seront face à elles, espérant ainsi éviter le mouvement de recul. Ils affichent donc dans leur appartement, pendant plusieurs semaines, les portraits en grand format.
«Cela a si bien marché que lorsque nous les avons rencontrées, elles étaient pour nous des proches. Et nous devions faire attention de ne pas être trop familiers, car elles, elles ne nous connaissaient pas!» explique Corinne, dont la sensibilité à cette cause trouve aussi ses origines dans ce qu'elle a vécu dans sa jeunesse. «C'est incomparable, bien sûr, mais j'avais été victime d'une attaque cérébrale qui m'avait laissée avec le visage partiellement paralysé, incontrôlable, pendant plusieurs jours. En les voyant, je me suis simplement souvenue de la douleur morale qui apparaît parce que tu ne peux plus exprimer tes sensations par les traits de ton visage.»
Des témoignages profonds et spontanés
Ils partent un peu comme des reporters avec plein de projets solidaires dans la tête. Faire leur don; comprendre; établir un parallèle sur la résilience après la maltraitance en Suisse et en Inde. Ils renonceront à ce dernier chapitre: en Suisse, le mystère reste bien plus solide qu'en Inde, où les témoignages des femmes qu'ils vont rencontrer au café à Agra s'avéreront profonds et spontanés, dans un climat de confiance absolue.
Corinne et Marc passent une semaine là-bas. Ils y rencontrent – le hasard fait si bien les choses, parfois! – Vanessa Asvin Koumar, une jeune licenciée en relations internationales, qui a elle aussi le cœur tourné vers les autres, et la maîtrise de plusieurs langues dont le français. Elle sera leur traductrice, leur appui indispensable, et devient leur amie.
Pendant leur semaine à Agra, ils passent l'essentiel de leurs journées au Sheroes' Hangout. «Nous avions notre table au fond du café, près de la fenêtre, explique Marc, et toutes ces femmes admirables sont venues se faire connaître, raconter leur histoire, se faire photographier pour que Corinne puisse ensuite réaliser leur portrait à l'aquarelle.»
Pas si simple pour l'artiste vaudoise: «J'avais peur, je sais qu'avec un petit trait de travers, tu trahis la personne. Et pour ces femmes qui avaient déjà tellement souffert, comment envisager de leur faire subir un nouveau crève-cœur avec un portrait qui ne dirait pas leur personnalité, la beauté de leur âme, de leur courage, de leur résilience?»
L'absence de haine
Corinne Cap a su faire parler son talent: ses portraits sont superbes, habités d'une force et d'une grâce qui rendent aux victimes leur dignité et leur identité. D'ailleurs, elles en sont très heureuses. En recueillant leurs témoignages, les deux Suisses ont été sidérés par l'absence de haine, de rancune, par la volonté des victimes de construire leur vie, de penser au présent, à l'avenir. Corinne cite avec émotion l'exemple d'une des femmes qui renonce à poursuivre son agresseur en justice – son mari, en fait – parce qu'il s'est remarié, qu'il a une nouvelle épouse et des enfants. Elle ne veut pas détruire la vie de cette femme et de ces gosses.
«Nous étions partis là-bas pour les aider, mais en fin de compte, ce sont elles qui nous ont enrichis, souligne Marc, et nous avons beaucoup réfléchi à la raison qui nous a fait partir auprès d'elles. Nous voulions vraiment savoir si nous n'étions pas, somme toute, habités d'un certain voyeurisme, d'un intérêt morbide. Mais la réponse que nous avons retenue est celle-ci: un visage aussi dévasté n'a aucun sens, il s'agissait donc d'approcher, peut-être de comprendre son mystère. Et puis, nous voulions savoir comment il était possible que ces femmes surmontent quelque chose d'aussi horrible et soient joyeuses, rieuses, normales. Et si belles. En fait, c'est de cela dont le monde actuel a besoin: de cette absence de haine ou de désir de vengeance.»
Si la somme amenée là-bas par Corinne et Marc a servi en bonne partie à ouvrir un deuxième café, ils sont revenus de leur voyage riches en rencontres profondes avec un projet de livre. Une trentaine d'aquarelles, des textes, des témoignages, des analyses, des explications sur la violence faite aux femmes qui n'est vraiment pas le privilège de l'Inde. Le livre, c'est sûr, paraîtra bientôt aux Editions Ouverture, au Mont-sur-Lausanne, et sera traduit en hindi par Vanessa. Mais il faut encore du soutien financier pour assurer sa sortie. Pour que les femmes d'Agra voient le livre, leur livre. Et tout le bénéfice éventuel sera pour elles. Une sacrée cause, non?
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www.stopacide.com Editions Ouverture, Le Mont-sur-Lausanne, CCP 50-514067-3 mention «Peins mon portrait, s'il te plaît!»
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