Les entreprises et le coronavirusLa drôle d’aventure d’un fabricant de respirateurs de secours
BCD Microtechnique, à Préverenges, qui conçoit des instruments de mesures, pensait bien faire en produisant en urgence des ventilateurs. En vain! 140 appareils lui restent sur les bras.

Ce n’est pas tous les jours qu’une petite entreprise vaudoise voit débarquer un ambassadeur dans ses ateliers, qui plus est des Emirats arabes. BCD Microtechnique SA, installée dans la zone industrielle du Tresi à Préverenges, a vécu cet événement un samedi matin ce printemps alors que de nombreux pays cherchaient à tout prix à acquérir des respirateurs pour leurs hôpitaux traitant les malades du coronavirus. Dans l’urgence face à l’explosion des cas dans le monde, ce fabricant spécialisé dans les instruments de mesures s’était lancé dès les premiers jours de mars dans la production de ventilateurs non-invasifs. Aujourd’hui, et malgré leur validation clinique, 140 des 160 appareils finis de monter début mai lui restent sur les bras. 20 sont en route pour le Népal.
Malgré l’énergie folle dépensée par Cédric Pahud, le patron de la PME, et ses collaborateurs non astreints à rester à la maison, celui-ci n’en perd pas pour autant son pep. Il tire les leçons, nombreuses et en tous genres, de cette drôle d’aventure. Elles seront profitables à l’avenir car le savoir-faire de l’entreprise est reconnu dans divers domaines, notamment par de grands horlogers suisses. L’année est certes difficile – le chiffre d’affaires devrait reculer de 15% – mais, grâce aux réserves cumulées et aux aides fédérales (prêts Covid, RHT toujours en vigueur), il n’y a pas péril en la demeure.
Gros marché en Chine
Fondée en 1979 par trois ingénieurs en optique, électronique et mécanique, BCD Microtechnique conçoit des équipements qui rassemblent ces compétences. L’informatique embarquée et le développement logiciel prend de plus en plus d’importance depuis la reprise de la société, en 2011, par Cédric Pahud, lui-même ingénieur EPFZ et électronicien. L’entreprise conçoit et fabrique des instruments de mesure et de contrôle principalement dans trois domaines: l’horlogerie (ex. appareils de mesure de la géométrie des rouages) , l’industrie (notamment des mini capteurs optiques «sur-mesure» pour des machines Bobst), ainsi que les nouvelles technologies de l’internet des objets (ex. capteurs qui optimisent le réglage des voiles de bateau).
Cédric Pahud, seul propriétaire de la société, note que près de la moitié de son business part en Chine, souvent par l’entremise de fabricants de machines – français ou allemands – destinées aux manufactures asiatiques. Ces affaires, dit-il, ont «bien tenu le choc», contrairement aux instruments pour l’horlogerie, considérés comme des biens d’investissements, et donc stoppés.
«C’était un coup de coeur. On s’est lancé car on voyait la vague du coronavirus exploser. On voulait sauver des gens»
Qu’est ce qui a poussé l’entrepreneur à concevoir ce ventilateur non-invasif à masque? «Un coup de coeur, répond-t-il. On s’est lancé car on voyait la vague du coronavirus exploser. On voulait sauver des gens.» Début février, son agent commercial chinois ne répondait plus alors que la Lombardie commençait à s’embraser. Un ami pneumologue le conseille sur le type de machine, que sa société est capable de produire. Il se lance bille en tête sur un système de ventilateur à turbine. Le travail démarre le 10 mars dans les ateliers de Préverenges. L’appareil sert à aider les patients pas trop gravement atteints à respirer, notamment avant ou après intubation. «Notre idée était de les vendre au prix coûtant. On a travaillé d’arrache-pied durant huit semaines. Des collaborateurs ont fait des centaines d’heures supplémentaires sur le projet, certains ont même dormi sur place!».
Par crainte de pénurie, la société achète rapidement tous les composants – notamment chez des sous-traitants de la région très réactifs – sans savoir si cela allait marcher. Des pièces sont imprimées en 3D. L’entrepreneur met la main sur les 160 unités de turbines disponibles chez un fabricant allemand. Gros coup de stress: le lot a été bloqué à la douane à Genève, est reparti en Allemagne, avant que ce pays n’autorise la livraison de ce matériel médical. Le montage peut démarrer. Mais alors que la première vague atteint son sommet, les gens de BCD Microtechnique comprennent que la Suisse ne manque pas de respirateurs. Ils avaient été reçu par les pontes des hôpitaux, qui leur ont décerné des éloges pour leur appareil, mais leur ont signifié ensuite n’en avoir plus besoin!
Dessous de table
A l’étranger, par contre, la demande est immense. Vers mi-avril, l’entreprise reçoit beaucoup d’appels d’Afrique du Sud, de Russie, d’Amérique latine, de pays du Golfe et même de Syrie. Hélas, toutes les intentions n’étaient pas louables. Des intermédiaires au service des autorités sanitaires en Amérique du Sud exigeaient des dessous de table, en contrepartie d’un achat, appelés: «prestation d’accès direct au gouvernement». En Egypte, le motif du refus était que les autorités sanitaires voulaient des machines invasives et des normes CE. Cette certification européenne n’avait pas encore été obtenue bien que des tests cliniques de la Haute Ecole de Santé du Canton de Vaud – financés par la Confédération – ont validé le modèle. L’ambassadeur des Emirats lui a fait savoir que la marque de la petite entreprise vaudoise n’était pas assez prestigieuse! A l’heure qu’il est, seuls 20 ventilateurs - offerts - sont en route pour le Népal via des ONG suisses.
Cédric Pahud continue à s’époumoner pour écouler ses appareils afin de couvrir ses coûts de plus de 700’000 francs. A peine désabusé, il ne regrette toutefois rien: «J’ai investi tout ce que je pouvais. Notre respirateur aura été un succès d’estime et technique... mais pas commercial»!
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