C’est une histoire simple mais qui en dit long sur l’inadéquation des lois et ordonnances censées encourager la transition énergétique. Marc-Henri Guex vient d’en faire l’expérience. Paysan à Boulens, un petit village du Gros-de-Vaud, il envisage de construire deux nouvelles halles agricoles destinées à l’engraissement de poulets. Sous contrat avec un grand distributeur, il anticipe le jour où son principal acheteur exigera la neutralité carbone. Et surtout, il veut investir à quelques années de la retraite, histoire de céder son exploitation dans les meilleures conditions. Coût de l’investissement, un peu plus de 2 millions de francs, comprenant une toiture recouverte de cellules photovoltaïques et une pompe à chaleur (chauffage), lui assurant ainsi la neutralité carbone. Au passage, le toit solaire permettra d’économiser 20’000 à 30’000 litres de mazout brûlés pour chauffer les locaux à plus de 30 °C et la revente de l’électricité excédentaire pourrait lui assurer un petit gain supplémentaire bienvenu dans une profession où l’on ne roule pas sur l’or. Marc-Henri Guex en est convaincu, c’est un bon plan.
Du moins, le pensait-il, jusqu’à ce courrier du 3 mars dernier. Par retour de courrier, l’électricien indépendant que M. Guex a mandaté l’informe que le devis du raccordement électrique prévu par la Romande Energie pour les deux hangars se monte à… 145’000 francs, investissement à charge du propriétaire, auquel il conviendra de rajouter un montant de plusieurs dizaines de milliers de francs pour les travaux de génie civil (tranchée pour enterrer la nouvelle ligne de moyenne tension). Rien d’anormal, c’est ainsi que sont faites les ordonnances; le raccordement est à la charge du propriétaire. Autant dire que cette mauvaise tuile rend le projet impossible à financer.
Marc-Henri Guex est loin d’être un cas isolé. Selon nos recherches, ils sont nombreux à posséder des toits bien placés pour produire l’équivalent d’une petite centrale, à même d’alimenter une centaine de ménages mais à y renoncer après examen. Le professeur à la HES Valais Stéphane Genoud, qui a étudié les obstacles au déploiement du solaire en Suisse, le confirme: «Ce type d’obstacles financiers est absurde et fort regrettable.» Et pour tout dire révoltant dans la bouche de Marc-Henri Guex, lui qui rêvait il y a vingt ans déjà de couvrir sa ferme de cellules photovoltaïques, avant de jeter l’éponge, refroidi par les conditions offertes par son distributeur.
«Ce type d’obstacles financiers est absurde et fort regrettable.»
Cet exemple (comme tant d’autres) démontre que les intentions politiques et les conditions économiques ne sont pas alignées. À l’évidence, les coûts de raccordement ne sont pas attractifs pour les petits acteurs alors que les compagnies électriques démarchent les propriétaires pour trouver les toits idéalement situés. «Elles jouent en fait sur deux tableaux. Elles préfèrent louer les toits et rester propriétaires de l’énergie produite», nous glisse un installateur indépendant. En coulisse, plusieurs bureaux spécialisés dans les installations solaires se plaignent d’une concurrence déloyale et de frais peu transparents des tenants du monopole. Ainsi, en faisant notre petite enquête, on apprend que le problème auquel est confronté M. Guex pourrait être financé par un fonds spécial mais dont beaucoup ignorent l’existence!
Une bonne nouvelle quand même: le problème des frais de raccordement a été identifié. La nouvelle loi sur l’approvisionnement de l’électricité en examen, ce lundi au parlement, prévoit que Swissgrid pourrait prendre en charge une partie de l’investissement. Seul l’UDC (le parti des paysans, dit-on) s’y oppose. Comprenne qui pourra.
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La chronique économique – La facture qui tue le toit solaire des paysans
On veut plus d’électricité solaire produite sur les toits. Dans les faits, on fait tout pour décourager les meilleures intentions.