Les films publicitaires pour les voitures ne racontent jamais la fin de l’histoire. La séquence s’ouvre généralement sur la carrosserie qui file à toute vitesse sur une route déserte. Le véhicule quitte une ville dépeuplée, s’engouffre dans la nature sauvage, direction l’horizon qui s’évanouit au loin. Dans l’habitacle, la personne au volant sourit aux passagers qui rigolent. Tout respire confort et sécurité. Le pèlerinage s’arrête une fois atteint un lieu paradisiaque béni des dieux. Les occupants descendent alors de leur machine pour se fondre dans un paysage vide de toute civilisation.
Je me demande toujours pourquoi le clip s’arrête là, laissant le public en suspens. Parce que la suite de l’histoire est connue. Convaincu par le message, le spectateur décide de s’acheter la berline pour, lui aussi, rejoindre cet Élysée. D’abord un consommateur, puis dix, 100, 1000. Finalement ils sont des millions et plus à s’embarquer aveuglément vers la même destination. L’afflux ralentit la circulation, provoquant à terme des embouteillages interminables. Le trafic motorisé est bloqué à la sortie des villes, en pleine campagne. Partout, tout le temps.
«Les automobilistes, toujours plus nombreux, ne rigolent plus.»
Les automobilistes, toujours plus nombreux, ne rigolent plus désormais. Coincés dans une file de voitures, ils exigent de la fluidité; ils veulent pouvoir circuler librement depuis chez eux jusqu’à l’Eden, comme dans la pub. Les autorités, mises sous pression, doublent, triplent, quadruplent les voies carrossables. Le béton coule à flots. Dans les villes, les barres d’immeuble et les piétons sont asphyxiés par la chaussée. Dans la plaine, les arbres effeuillés poussent entre deux stations essence. Un parking géant est finalement construit sur le lieu paradisiaque qui n’en est plus un.
C’est le cercle vicieux. Le nombre de bagnoles augmente inexorablement, amplifiant le flot permanent. Ce va-et-vient génère maladies respiratoires, accidents de la route, surpoids, nervosité, stress, animosité et désocialisation. Les kilomètres épuisent la population qui n’en peut plus derrière son volant. Elle aimerait retrouver un peu d’air frais, pouvoir goûter à cette oasis qui n’existe plus. Le peuple réclame alors un autre endroit paradisiaque, semblable, ailleurs mais tout aussi magique et envoûtant. L’industrie automobile, qui est à l’écoute, le trouve. Ce nouvel eldorado fait l’objet d’un nouveau spot publiciatire qui, encore une fois, ne raconte qu’une partie de l’histoire…
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Grain de sable – La fin de l’histoire