Un récent sondage mené par Tamedia a posé à 27’668 personnes la question suivante: «La Suisse doit-elle soutenir l’Ukraine en autorisant la réexportation d’armes et de munitions suisses?» Les 18 à 34 ans refusent à 44% («non») et leur refus monte à 58% en comptant les «plutôt non». Seuls 22% répondent franchement «oui», 36% si l’on compte les «plutôt oui». À l’autre extrémité, les plus de 65 ans sont favorables à 66% («oui» et «plutôt oui» cumulés). Le gouffre intergénérationnel est abyssal, et se creuse avec le vieillissement des sondés.
Admettons que, d’un point de vue géopolitique, les enfants du baby-boom n’ont jamais connu que confort et sécurité: une Europe en paix depuis leur naissance, une prospérité unique dans toute l’histoire de l’humanité, en tout cas pour le monde américano-européen.
«On comprendra qu’une part de la jeunesse n’ait pas en l’avenir la foi béate, moralisante et sûre d’elle des soixante-huitards»
Dans les années 1970, la stabilité politique de l’Asie centrale et du Moyen-Orient avait ouvert une autoroute aux bus VW de ces enfants de notables, qui avaient provisoirement laissé pousser leurs cheveux. Les reliquats de la colonisation rendaient tout voyage facile. Le monde était vaste, mais sans danger. Le sida n’existait pas et les drogues étaient légères. Jouir était la norme. Le plein-emploi les attendait au bord du Léman.
Cela a forgé chez nombre de représentants de cette génération un fort sentiment de supériorité morale et une inébranlable confiance en leurs opinions. Leur volonté de soutenir militairement l’Ukraine et de peser par la force dans cet effrayant conflit découle de cette double certitude.
Les jeunes générations sont moins confiantes. Depuis vingt ans, on rabat leurs oreilles d’impératifs de mobilité géographique et professionnelle. Des publicitaires californiens et des cinéastes parisiens ont érigé en normes de coolitude des marques de paupérisation: les filtres Instagram subliment la nécessité de vivre en colocation ou de travailler comme livreur Uber. Une fois atteint l’âge adulte, les salaires stagnent sévèrement. Leur recours permanent aux outils de messagerie instantanée a bouleversé leur rapport au temps, et donc à la
planification.
Sentiment de dépossession
De Berlin à Ibiza, une partie du monde s’est standardisée dans la consommation, tandis que le matraquage climatique leur décrit l’autre comme un immense feu de forêt, quotidiennement sous le coup d’attentats. Ajoutons à ce cocktail l’expérience solitaire des années de Covid. Tout cela aura suffi, en quelques années, à donner à la jeunesse occidentale le sentiment de sa dépossession.
On comprendra donc qu’une part de celle-ci n’ait pas en l’avenir la foi béate, moralisante et sûre d’elle des soixante-huitards. Alors sans doute de nombreux jeunes pressentent-ils que la neutralité est pour la Suisse un moyen de conserver, à son niveau politique et militaire propre, autant de maîtrise que possible sur un monde qui s’embrase de jour en jour.
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L’invité – La jeunesse dit non à la livraison d’armes à l’Ukraine
L’inquiétude croissante manifestée par la jeune génération la pousserait à se positionner en faveur de la neutralité suisse, analyse Félicien Monnier.