Guerre en Ukraine«La neutralité est aussi malléable qu’un chewing-gum»
Alors que des élus poussent pour que la Suisse livre des armes à l’Ukraine, des historiens critiquent l’ambiguïté qui entoure la neutralité helvétique.

La neutralité de la Suisse face au conflit ukrainien agite l’entier des titres dominicaux alémaniques. Une semaine après les déclarations de Gerhard Pfister favorables à l’envoi de munitions suisses en Ukraine, les interprétations sur la neutralité suisse vont bon train. Dans la «NZZ am Sonntag», les Vert’libéraux vont un cran plus loin que le président du Centre en estimant que la Suisse devrait pouvoir livrer des armes à des pays démocratiques victimes d’une guerre d’agression, comme c’est le cas actuellement en Ukraine.
Pour le conseiller national argovien Beat Flach, qui dit avoir le soutien du président du parti et de la cheffe de groupe aux Chambres fédérales, la neutralité telle qu’elle a été conçue dans la Convention de La Haye de 1907 doit être réinterprétée de fond en comble. «C’est une pièce de musée», affirme Beat Flach qui rappelle qu’à cette époque, la guerre d’agression était encore considérée comme un moyen de défendre des intérêts nationaux. Il faut d’ailleurs remonter à la Première Guerre mondiale pour voir la Confédération livrer des armes à la France ou à la Grande-Bretagne.
«Je ne comprends pas pourquoi nous ne fournissons pas d’armes à une démocratie en Europe qui doit se défendre sur son territoire, alors que nous le faisons avec des pays qui ne partagent pas nos valeurs.»
«Je ne comprends pas pourquoi nous ne fournissons pas d’armes à une démocratie en Europe qui doit se défendre sur son territoire, alors que nous le faisons avec des pays qui ne partagent pas nos valeurs», ajoute-t-il encore. Mais sa proposition a peu de chance d’aller plus loin: tous les autres partis consultés par le journal zurichois rejettent cette idée, au nom de la loi sur la neutralité, précisément.
Attitude «schizophrène»
Mais du point de vue des historiens, ce ne serait pas la première fois qu’on jouerait avec les lignes de la neutralité en fonction de la réalité politique. Ainsi, toujours dans les colonnes de la «NZZ», l’historien bâlois émérite Georg Kreis rappelle qu’elle a toujours été appliquée de manière flexible, mais il y a souvent un fossé entre le principe et la pratique. On peut l’interpréter de manière dogmatique ou l’utiliser en fonction des nécessités de la realpolitik.
«Donner une grande importance à la neutralité – comme c’est le cas en Suisse – pour ensuite constamment l’affaiblir, c’est malhonnête.»
Et de citer l’exemple de la collaboration active de la Suisse avec les États-Unis dans le contexte de la guerre contre le terrorisme, quand Christoph Blocher était au Conseil fédéral. «On voit là une constante historique: on chante le dimanche les grands principes de la neutralité, mais le lendemain, la réalité nous attend», a déclaré Georg Kreis.
Mais à force de trop l’étirer, la neutralité perd peu à peu son sens. C’est du moins la mise en garde que fait un autre historien, Hans-Ulrich Jost, dans les colonnes de la «SonntagsZeitung». Il estime que la neutralité helvétique a toujours été aussi élastique et malléable qu’un chewing-gum et que cette politique regorge d’exemples ambigus.
«Donner une grande importance à la neutralité – comme c’est le cas en Suisse – pour ensuite constamment l’affaiblir, c’est malhonnête», a pointé Hans-Ulrich Jost qui décrit des positions schizophréniques, surtout lorsqu’il s’agit de vouloir livrer des armes.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.