Sorties livres et BDLa révélation Abel Quentin, ce bon vieux Yark et autres monstres
Des auteurs hors du commun pour valdinguer loin des sentiers battus.

Jeunesse Le Yark, ce colosse poilu qui apprivoise ses congénères monstrueux, fête son 10e anniversaire. Insolente, la créature de Bertrand Santini n’a peur de rien, et surtout pas de ces petites bestioles humaines qui grouillent de questions intempestives. «Bavards, gourmands, capricieux, froussards, fainéants, paresseux, à vrai dire, s’ils ne faisaient pas d’excellents ragoûts, les enfants ne serviraient à rien du tout» professe-t-il.

Avec sa tendresse croquante chère au Dr. Seuss, à Edward Gorey ou Tim Burton, son sens du chic gore digne des romans victoriens, le Yark pète, vomit et éructe en album collector. Ces contes illustrés offrent la plus parfaite initiation «aux livres des grands», par exemple le beau volume des «Contes de l’inattendu» de Roald Dahl, tout juste paru en Quarto/Gallimard. Des compagnons pour la vie…. CLE
«Le Yark»
Bertrand Santini/Laurent Gapaillard
Éd. Grasset, 72 p.

Abel Quentin, la parole à l’accusation

Bredouille aux Goncourt et Renaudot, Abel Quentin se console avec le si parisien Prix de Flore. Au-delà, le Lyonnais Alberic de Gayardon de son vrai nom, avocat au barreau, 36 ans, adore dynamiter le label «bobo anar de droite» qui lui colle à la robe. «Le voyant d’Étampes» tonitrue ainsi des vérités sarcastiques sur l’époque avec une puissance de feu réjouissante. Et les critiques de parler de petit-enfant d’Houellebecq, voire d’héritier de Balzac. Aucune usurpation dans ces qualificatifs flatteurs, la hargne boueuse qui tâche les esprits et les secoue subsiste sous l’onctuosité des compliments.
Son héros Jean Roscoff, universitaire alcoolo, retraité désabusé, largué des réseaux, pourrait tenir de la caricature ambulante. Bientôt «vieux con», ce taudis existentiel provoque une sympathie immédiate, surtout quand le mal aimé devient sans le vouloir la cible des wokistes, féministes et autres passionarias lorsqu’il publie la biographie d’un poète américain mort dans l’Essonne. Grâce à un langage qui pille dans les formules anciennes un air canaille de modernité, ce roi nu danse avec vigueur au milieu des pantins de la «cancel culture». CLE
Abel Quentin
«Le voyant d’Étampes»
Éd. de l’Observatoire, 379 p.

Rahan revient en grosse carrure

Les vrais héros ne meurent jamais. Prenez Rahan, cet homme préhistorique créé par Roger Lécureux et André Chéret dans «Pif Gadget» en 1969. Le «fils des âges farouches» vivra 28 tomes, avec son corps de culturiste, sa longue chevelure blonde, son pagne et son collier de cinq griffes. Depuis, il a eu droit à deux dessins animés, deux projets de films, un parc aventure qui n’a pas marché, et surtout de multiples rééditions. Après plusieurs intégrales par tome, en voici une nouvelle en noir et blanc, en cinq gros volumes. L’occasion «d’apprécier à sa juste valeur le graphisme hors pair», puisque le dessinateur a ouvert ses archives pour permettre la publication des planches originales. Et c’est vrai que le dessin de Chéret est d’une efficacité étonnante et moderne. «Raaaahaaa», comme dirait le héros. DMOG
«Rahan – Intégrale noir et blanc, tome I», Lécurieux-Chéret, Éd. Soleil, 600 p.

«Trouvailles» aux Archives littéraires suisses

Pétales de rose, béret ou bâton de ski… les Archives littéraires suisses dévoilent les objets fétiches de quelques romanciers. La professeure Irmgard M. Wirtz le sait bien. Passionnés par les correspondances, des lettres de Rilke ou de Kafka, aux réseaux tissés sur la Toile, les chercheurs manient plus souvent des documents protégés par des chemises désacidifiées que des objets encore transpirants de l’aura tactile de leurs propriétaires.

«En effet, pourquoi conserver un nain de jardin (Flurin Spescha), une robe de mariée (Aglaja Veteranyi), une chaise en osier (Jörg Steiner) ou toute une colonie de joujoux grenouilles (Giovanni Orelli)?»Regula Fuchs, journalisteNéanmoins, aux Archives littéraires suisses (ASL), que l’universitaire dirige à Berne, se sont accumulées ces trouvailles à peu près inclassables. Amulettes. grigris, fétiches, collections diverses… c’est ce trésor qui s’expose pour les 30 ans de l’institution, dans un livre objet aussi original que son contenu.
Dès 2013, le quotidien Der Bund accueillait une chronique régulière étudiant ces quelque 400 pièces préservées comme des œuvres d’art. Il y avait de quoi enquêter…

«En effet, s’amuse Regula Fuchs, pourquoi conserver un nain de jardin (Flurin Spescha), une robe de mariée (Aglaja Veteranyi), une chaise en osier (Jörg Steiner) ou toute une colonie de joujoux grenouilles (Giovanni Orelli)?»
«Le rapport à l’écriture relève parfois de l’évidence – ainsi des «Carnets de rêve» de Corinna Bille, de dédicaces étoilées de Prévert à Cendrars et autres papiers aussi précieux que le chèque de l’Académie Goncourt à Jacques Chessex. D’autres intriguent.

Voir le buste de Socrate et le pantin squelettique conservés par Roland Jaccard, philosophe nihiliste. Ou les cartes postales du Japon gardées par Agota Kristof, véritable star des lettres là-bas. Ou encore le carnet de bal très particulier de Grisélidis Real, qui se présentait comme «écrivain, peintre, prostituée». De quoi fureter dans les petits secrets des uns et des autres.
«Trouvailles – une vitrine d’objets littéraires»
Collectif sous la direction d’Irmgard M. Wirtz, trilingue
Archives littéraires suisses (ALS)
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