«La Suisse a régressé dans la lutte contre le tabac»
Le dernier rapport de l'OMS sur l'épidémie du tabac pointe du doigt la Suisse, mauvais élève sur le plan européen

En une quinzaine d'années, la part de fumeurs en Suisse a fortement régressé, passant de 35 à 25%. Mais depuis cinq ans, les spécialistes notent une stagnation. Il faut dire que la Suisse ne fait pas des étincelles dans sa politique antitabac. Les deux dernières lois censées la renforcer ont passé à la trappe devant le parlement. Le point avec le Dr Jean-Paul Humair, directeur du CIPRET-Genève, l'organisme en charge de la prévention du tabac dans le canton.
Dans la lutte antitabac, la Suisse se classe 21e sur 35 au niveau européen. Ce résultat très médiocre vous surprend-il?
Non, pas du tout. Cela corrobore ce que l'on connaît de la prévention du tabagisme et de son évolution au cours des dernières années. Depuis une dizaine d'années, on assiste à une stagnation sur certains points, et à une régression sur d'autres.
Sur quels points avons-nous régressé?
Un exemple de régression, c'est sur la taxation du tabac. Durant 10 ans, on a eu des augmentations un peu plus substantielles que précédemment du prix du tabac, avec un objectif de santé publique. Le prix reste encore relativement bas par rapport au niveau de vie de la Suisse, mais enfin, c'était quand même quelque chose. Maintenant, le Conseil fédéral a atteint la limite maximale autorisée par la loi. Et le projet de loi sur la taxation du tabac, qui visait à rehausser cette limite, a été rejeté par le parlement au début de cette année. C'est clairement un coup de frein à un outil important de santé publique.
Quels sont les outils qui manquent aujourd'hui en Suisse dans la lutte antitabac?
La Suisse est particulièrement faible dans les mesures de prévention structurelle, c'est-à-dire des mesures collectives qui passent beaucoup par des changements de loi. J'ai cité la loi sur la taxation du tabac. Il y a aussi la loi sur les produits du tabac, qui prévoyaient des restrictions plus importantes en matière de publicité et de promotion du tabac. Cette loi aussi a été balayée par les deux chambres du parlement, avec une demande au Conseil fédéral de revenir avec un projet de loi a minima qui convienne à l'industrie du tabac.
L'OMS dénonce le rôle de l'industrie du tabac, comme frein à la prévention. Vous avez l'impression qu'en Suisse aussi, les tabagistes bloquent les projets?
Le dernier progrès en Suisse, qui date d'environ 10 ans, ce sont les interdictions de fumer dans les lieux publics. Pour tout le reste, on a un frein majeur qui vient de la présence sur notre sol des trois plus grandes multinationales de tabac. Elles ont un pouvoir économique immense et savent très bien comment intervenir auprès des décideurs politiques. Cela se fait de façon discrète, mais l'industrie du tabac a réussi à intégrer ses revendications en s'alliant avec les milieux de l'économie, ce qui lui a donné suffisamment d'alliés au parlement pour bloquer les projets de loi.
La part des fumeurs a pourtant baissé de 35 à 25% depuis la fin des années 90. Depuis 2011, cela ne bouge plus. Est-on arrivé à un seuil incompressible?
Non. Cela reflète simplement le fait que nous n'avons pas mis en place les mesures définies dans la convention cadre de l'OMS, que la Suisse a pourtant signée. On peut tout à fait aller en dessous. De nombreux pays y arrivent, en appliquant un paquet de mesures. On peut penser à l'Australie, avec un taux de fumeurs de 15% environ. C'est 10% de moins qu'en Suisse. Et quand on sait qu'un fumeur sur deux décède d'une maladie du tabac, cela fait quand même passablement de milliers de gens chaque année qui évitent un décès prématuré!
Doit-on craindre de voir remonter le taux de fumeurs en Suisse?
Probablement pas de façon trop importante. On a quand même une panoplie substantielle pour le soutien à l'arrêt du tabac. L'interdiction de fumer dans les lieux publics est assez bien respectée, ce qui a réduit l'exposition au tabac. Et cette mesure contribue beaucoup à changer la norme sociale, notamment chez les adultes d'âge moyen - 35-65 ans - où la norme est de ne plus fumer. Mais si on ne poursuit pas avec d'autres mesures, on n'arrivera pas à progresser.
Quelle est la tranche d'âge la plus touchée par le tabac?
Ceux qui fument le plus, ce sont les jeunes adultes. Les 20-34 ans sont 37% à fumer. Mais ils ne seront menacés que 20 ou 30 ans plus tard. Un bon nombre aura certainement arrêté d'ici là. Mais certains sont suffisamment accros pour poursuivre plusieurs dizaines d'années.
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