La confiture aux fraises du jardin de grand-maman sera-t-elle bientôt produite avec du saccharose provenant des plantations de canne à sucre du Brésil? Cette question sera prochainement sur le bureau des collaborateurs des offices fédéraux de l’agriculture et de l’environnement et ne manquera pas de créer des débats enflammés aux Chambres fédérales.
Touchée par la jaunisse virale, la filière suisse du sucre demande le retour provisoire du «gaucho», un produit à base de néonicotinoïdes, une famille d’insecticides dits «tueurs d’abeilles». Il serait le seul à lutter efficacement contre le puceron vert, vecteur de la jaunisse. Et au contraire de l’arrosage du début des années 2000, le traitement est désormais ciblé prétendent les agriculteurs. Enfin, la betterave n’attirerait pas les abeilles, car elle ne fleurit pas.
Pour garantir notre souveraineté agricole, il faut empêcher la destruction des insectes pollinisateurs, rétorquent les écologistes. Les études ont montré que même utilisée en enrobage, 80 à 95% de ces substances restent dans les sols et peuvent y stagner des années, polluant les eaux par ruissellement, les cultures ultérieures, mais aussi les vers de terre, batraciens, oiseaux ou mammifères, dont nous faisons partie.
«En pleine crise sanitaire et économique, Berne peut-elle se permettre de laisser tomber les familles vivant du sucre?»
Alors que plusieurs pays européens recourent déjà à des dérogations pour la culture de la betterave et que d’autres sont en passe de le faire, la Suisse peut-elle faire cavalier seul en la matière et maintenir l’interdiction? Neuf usages sur dix de néonicotinoïdes resteraient prohibés, tout en laissant le temps à la filière sucrière de trouver une parade à la jaunisse.
Dans le cas contraire, le remède ne serait-il pas pire que le mal? L’agriculture intensive brésilienne est souvent décriée par les défenseurs de la nature. Condamner le sucre du pays reviendrait à la favoriser. Ou à s’approvisionner en Europe de l’Est, où les néonicotinoïdes ont déjà leur autorisation provisoire. À la clé, autant d’émissions de CO₂ inutiles.
Les betteraviers attendent ces décisions pour confirmer leurs contrats en vue de la campagne 2021. Si les producteurs ne replantent pas, les usines sucrières, déjà malmenées ces dernières années, pourraient bien devoir mettre la clé sous le paillasson. En pleine crise sanitaire et économique, Berne peut-elle se permettre de laisser tomber les familles vivant du sucre? Poser la question, c’est déjà y répondre.
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Éditorial – L’abeille ou la bett’, un choix politique