Mystères de l’UNIL«L’Annapurna, ce n’est pas le meilleur endroit pour faire un AVC»
L’alpiniste Jean Troillet raconte son accident en 2011 dans l’Himalaya. Prélude à sa conférence du 4 juin sur l’adaptation du corps humain à l’altitude.

C’est un film que Jean Troillet s’est déjà repassé des dizaines de fois. Parce que ces longues minutes font partie des marques que la montagne laisse à ceux qui la vivent au plus près, mais aussi parce que ceux qui n’étaient pas là-haut, le 20 septembre 2011 sur les flancs de l’Annapurna, veulent savoir. Alors l’alpiniste de 75 ans raconte.
Au coin de la cheminée, dans son chalet de La Fouly (VS), il explique comment, ce jour-là, il a été victime d’un accident vasculaire cérébral alors qu’il gravissait le dixième plus haut sommet du monde (8091 m), au cœur de l’Himalaya.
Un témoignage qui servira de point de départ à la conférence des Mystères de l’UNIL intitulée «La vie à 8000 mètres» durant laquelle Jean Troillet échangera avec Grégoire Millet, chercheur et spécialiste de l’ultraperformance, sur l’adaptation du corps humain à la très haute altitude.
La face ouest en style alpin
Septembre 2011. Jean Troillet arrive à Katmandou, au Népal, avec l’alpiniste français Jean-Yves Fredriksen, surnommé Blutch. Leur objectif? La face ouest de l’Annapurna en style alpin (équipement minimaliste, pas de corde fixe, pas de porteur et pas d’oxygène).
«Après plusieurs jours de trajet pour rejoindre la vallée puis le camp de base, nous démarrons l’acclimatation. L’idée était de monter à 6000 mètres afin d’y passer la nuit puis de redescendre pour se reposer avant de tenter la véritable ascension», situe l’alpiniste.
Les sorties s’enchaînent, de plus en plus haut, jusqu’à celle du 20 septembre. «Nous étions à 6000 m, il nous restait une longueur, alors Blutch a planté une vis à glace et on s’est encordés. L’objectif était d’atteindre une petite plateforme pour bivouaquer. Sauf qu’en un instant, dans ma tête, tout s’est mis à bouger. J’avais l’impression que je tournais autour de la vis à glace.»
«Nous étions à 6000 m, il nous restait une longueur mais en un instant, dans ma tête, tout s’est mis à bouger. J’avais l’impression que je tournais autour de la vis à glace.»
Jean Troillet ne comprend pas ce qui lui arrive. Il est conscient mais a de gros troubles de l’équilibre. «Il était clair qu’il fallait redescendre. Dans la face, c’était gérable. J’avais mon piolet et mes crampons, je me concentrais sur chaque petit geste. Par contre, en arrivant sur le glacier, c’est devenu dur. Je ne pouvais pas sauter par-dessus les crevasses, j’étais appuyé sur l’épaule de Blutch pour avancer. Sans lui, j’arrivais au camp de base en rampant.»
Au camp de base, il faut encore patienter une semaine avant qu’un hélicoptère ne vienne récupérer l’alpiniste pour le rapatrier à Katmandou. Et les choses ne s’arrangent pas. «Les tentes étaient posées à 4400 m d’altitude. J’ai dormi pendant trois jours et j’ai attrapé le Campylobacter, la bactérie du poulet. Là j’ai souffert, j’ai d’ailleurs perdu 12 kilos.»
Il est finalement transféré à l’hôpital de Katmandou, où les examens ne donnent rien. «Le diagnostic est tombé quelques jours plus tard, quand je suis rentré en Suisse. J’ai passé une IRM à Sion qui a révélé qu’une partie de mon cerveau était morte.»

Plus de dix ans après l’accident, l’ancien guide de montagne estime qu’il a bien récupéré. «C’était un petit AVC, j’ai eu de la chance. Quatre mois après j’étais sur les skis et l’été suivant je filais au Gran Paradiso avec des clients.» Sa femme et ses enfants lui demandent toutefois de renoncer à la haute altitude, ce qu’il accepte.
Il ne retrouvera plus «ces instants hors du temps au sommet» mais n’a pas mis longtemps à se persuader d’une chose: «Revenir vivant après trente ans d’Himalaya, c’est déjà exceptionnel.»
«Là-haut, vous n’avez qu’un tiers de l’oxygène par rapport à la plaine, vous vous arrêtez tous les 25 ou 30 pas pour reprendre votre souffle et vous sentez que votre cœur s’endort.»
Parce que, là-haut, au-delà des risques inhérents à un tel milieu, «vous n’avez qu’un tiers de l’oxygène par rapport à la plaine, vous vous arrêtez tous les 25 ou 30 pas pour reprendre votre souffle et vous sentez que votre cœur s’endort». Celui de Jean Troillet serait par exemple descendu à «38 pulsations par minute autour de 7200 m» mais il n’aurait jamais dépassé 169 battements pendant les efforts les plus rudes. «Tout simplement parce qu’à ces altitudes, vous faites tout au ralenti.»
Rangé des piolets, cet amoureux du Grand-Nord canadien refuse pourtant de décrire la haute montagne comme un supplice pour le corps. Pour le sien, du moins. «Je pense que j’étais en quelque sorte programmé pour l’altitude, physiologiquement et grâce à mon métier de guide.» Programmé… jusqu’au bug de l’AVC? «Je ne sais pas. Peut-être que l’altitude est responsable, peut-être pas. Il n’y a jamais eu d’explications définitives. Tout ce que je sais, c’est que la face ouest de l’Annapurna n’est pas le meilleur endroit pour faire un AVC.»
«La vie à 8000 mètres d’altitude» Conférence de Jean Troillet et Grégoire Millet. Dimanche 4 juin de 13 h à 14 h à l’UNIL. Inscriptions: www.mysteres.ch
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