OrganopoleLausanne, capitale des orgues
La mise en valeur à Saint-François de deux orgues «historiques» sur de nouvelles tribunes donne lieu à une effervescence musicale durant le mois d’octobre.

Avec une détermination tout aussi motivée que pour l’olympisme, la discrétion en plus, Lausanne affine son profil de capitale organologique. On y compte en effet une concentration remarquable d’orgues répartie dans les églises de la ville. De la bête de course de la cathédrale en passant par les bijoux historiques soigneusement entretenus, comme celui de Saint-François, on dénombre aussi des orgues très originales sous forme de copies de modèles anciens. Un chantier de mise en valeur de deux d’entre eux vient de s’achever à Saint-François, sous la conduite de l’organiste du lieu, Benjamin Righetti. Intitulé «Organopole», ce projet ambitieux se destine à devenir le cœur de cette «Cité des orgues» et a nécessité la transformation et la création de tribunes ad hoc dans l’église franciscaine.
Des styles contrastés et complémentaires
Une excroissance boisée a germé dans la nef, sur la paroi nord accolée à la tour. Sur cette tribune au design sobre et moderne signée Danilo Mondada resplendit désormais le petit orgue espagnol multicolore que les amateurs de musique ancienne connaissaient depuis trente ans sur la galerie de l’église Saint-Laurent. Tout frétillant comme un gamin ayant gagné à la pêche miraculeuse, Benjamin Righetti en fait jaillir les sonorités nasillardes et épicées que goûtaient les Espagnols de la fin du XVIIe siècle.
«La question fondamentale qui est posée par rapport à ces interventions architecturales, c’est de savoir si l’on est dans un musée ou dans une église vivante»
Exactement en face, dans une tribune agrandie en haut de l’escalier qui mène à la sacristie, un autre instrument a trouvé sa place définitive. Construit pour le Conservatoire en 1990 dans le style des orgues vénitiennes de la fin du XVIIe siècle, il «encombrait» le chœur de l’église depuis une dizaine d’années. «D’ici, il sonne magnifiquement bien, où qu’on se trouve dans l’église, et s’accorde idéalement à l’autre», jubile l’organiste titulaire.

Initiateur de cette aventure de longue haleine, Benjamin Righetti avait abordé le Service des monuments et sites du canton de Vaud en 2013 déjà, recevant de prime abord un préavis clairement négatif des responsables du patrimoine. Mais l’organiste, également professeur d’orgue à la Haute École de musique de Lausanne, est revenu à la charge avec des arguments convaincants. «Tout le monde s’accordait à trouver que l’orgue italien était mal placé dans le chœur et que l’orgue espagnol, construit sur l’initiative de l’Association Les Goûts réunis, se trouvait à l’étroit et esthétiquement mal accordé à Saint-Laurent. J’ai pu démontrer qu’une galerie avait été construite au temps de la réforme et pour accéder à la tribune de l’orgue espagnol, nous n’avions qu’à rouvrir une ancienne porte murée dans les années 1930. L’escalier permettant d’accéder à ce balcon a été installé dans la tour du clocher sans toucher aux murs.»

Une tradition méridionale
Même si cela n’a jamais été le cas à Lausanne, il existait une tradition en Europe méridionale d’églises avec des tribunes d’orgue latérales permettant de réaliser des effets d’échos et de spatialisation. Un répertoire existe qui pourra revivre dans d’excellentes conditions acoustiques à Lausanne, les concerts prévus tout au long du mois d’octobre permettront de s’en assurer. «Mais la question fondamentale qui est posée par rapport à ces interventions architecturales, analyse Benjamin Righetti, c’est de savoir si l’on est dans un musée ou dans une église vivante, qui souhaite respecter l’histoire du bâtiment.» C’est finalement cette seconde option qui a prévalu.
Si les procédures d’autorisation de ces transformations ont pris plus de six ans, la collecte de fonds a été ficelée en moins d’une année. La Ville de Lausanne, qui a financé l’an dernier le relevage (restauration) des grandes orgues avait d’emblée annoncé qu’elle ne souhaitait pas payer ces travaux supplémentaires, bien qu’elle en appuyât l’idée et soit désormais propriétaire des deux instruments «historiques». Grâce à l’activisme de son directeur artistique, l’Association des Concerts de Saint-François a pu réunir en un temps record le budget de 450 000 francs (dont 160 000 offerts par la Loterie Romande) nécessaire pour la construction des tribunes, le déplacement et le réaccordage des instruments.
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