Festival Histoire et CitéLe bon docteur Favez était né femme
Au Palais de Rumine à Lausanne, une exposition permettra de faire mieux connaissance avec le parcours extraordinaire de la Vaudoise Henriette Favez.

En 1823, à Santiago de Cuba, un procès hors norme fait scandale. Celui d’Enrique Favez, médecin et chirurgien réputé de Baracoa, ville située tout à l’est de l’île.
Le bon docteur, qui en soigne aussi bien la bonne société que les esclaves depuis trois ans, est accusé de parjure, de falsification de documents, de corruption, d’incitation à la violence, d’exercice illégal de la médecine, d’imposture, de viol et d’atteintes graves contre l’institution du mariage. Excusez du peu.
Mais c’est Enriqueta Favez que le Tribunal condamne à 10 ans de réclusion, dans une institution où l’on boucle les femmes qui transgressent les normes sociales de l’époque, qu’elles soient divorcées, prostituées ou autres créatures incorrigibles.
Car Enrique (ou Henry) Favez était bien morphologiquement une femme, comme le confirme l’examen génito-urinaire effectué au cours de la procédure judiciaire. L’examen médical permet en outre de constater «le phénomène de la contrariété la plus ouverte entre la partie morale et sa partie physique; […] l’esprit d’un homme enfermé dans le corps d’une femme».

Bien connue à Cuba, cette affaire commence à faire parler d’elle dans nos contrées depuis quelques années. Car les minutes du procès, exhumées dans les années 1990 par l’historien cubain Julio César González-Pagès, révèlent qu’Enrique Favez déclare être né le 1er avril 1791 à Lausanne sous le prénom d’Henriette.
Du 31 mars au 1er mai 2022, dans le hall d’entrée du Palais de Rumine à Lausanne, une exposition réalisée par le Musée cantonal vaudois d’archéologie et d’histoire (MCAH), l’Ambassade suisse à Cuba et des historiens cubains, placera cette figure vaudoise et son parcours extraordinaire dans la lumière, à l’occasion du Festival Histoire et Cité, qui justement thématise les «Invisibles».
«Le paradoxe est qu’Enrique Favez, sans ce procès, serait resté invisible», relève Sabine Utz, conservatrice en chef du MCAH et cocommissaire de l’exposition avec les historiennes Gaëlle Nydegger et Neida Peñalver. Il n’aurait été qu’un colon blanc parmi les autres.
«Sa redécouverte à Cuba se fait via l’histoire de la médecine, qui devient centrale pour l’identité nationale de l’île vers 1900, et en fait une figure de première femme médecin, sortant des rôles imposés par la société, l’érigeant en modèle féministe.»
Pistes brouillées
L’exposition ne résout pas l’intégralité des mystères émaillant l’extraordinaire trajectoire d’Henriette Favez. À commencer par le flou entourant sa naissance. Au moment de son procès, elle déclare que ses parents sont Jean Favez et Jeanne Cavin, à Lausanne. Ces personnes ont bel et bien existé à cette époque, mais, si elles sont parentes de trois fils, pas trace d’une Henriette dans leur descendance.
Les recherches ont par contre montré qu’une Henriette Favez est née à Bavois le 1er février 1786, fille d’un cousin de Jean Favez, Isaac, et de Charlotte Meyret. La date de naissance indiquée plus haut correspond à celle d’une voisine des Favez de Lausanne.
«Ce flou renvoie sans doute au moment où Enrique Favez affirme une identité de genre masculine et doit se construire une existence administrative, relève Sabine Utz. Le fait de se rajeunir se retrouve dans d’autres trajectoires semblables, comme stratégie permettant de se faire accepter plus aisément comme jeune homme dans la société. Les archives vaudoises suggèrent ainsi qu’il a révisé sa généalogie en combinant des informations authentiques.»

Orpheline très jeune, Henriette aurait été mariée, à 15 ou 16 ans, par son oncle, colonel d’un régiment de chasseurs au service de Napoléon, à un autre officier, Jean Baptiste Renau. Elle obtient en échange d’accompagner, dès 1805, son mari et son oncle lors des campagnes napoléoniennes d’Allemagne et d’Autriche. On ignore à peu près tout de cette période de sa vie, si ce n’est qu’elle y perd un bébé de huit jours et son mari.
C’est alors que, livrée à elle-même, Henriette prend le prénom d’Henri afin de pouvoir étudier la médecine à Paris, peut-être en s’inscrivant avec le grade de son mari, avant d’être enrôlé comme chirurgien militaire. Après la Berezina, le Dr Favez est envoyé en Espagne, où il est fait prisonnier par les Anglais. Libéré en 1814, il s’installe à la Guadeloupe, qu’il quitte en 1819 pour Cuba, où se trouvent de nombreux colons français ayant fui Haïti.
«Sans changer de costume, vêtue ainsi en homme comme j’y étais accoutumée et me trouvant ainsi en liberté, parce qu’ainsi vêtue je pouvais exercer ma profession et ma fortune, sans idée de faire du mal à personne, et bien plutôt dans l’idée de secourir par mon métier les nécessiteux, comme je l’ai toujours fait», témoigne-t-elle à son procès.

Mentir sur son identité, se travestir, c’est une chose, mais, peu après son arrivée, Henri Favez aggrave son cas lorsqu’il tombe amoureux d’une patiente, Juana de León, métisse sans ressources. Huit jours avant de l’épouser, selon ses dires, il se «découvre devant elle», afin «qu’elle ne soit pas bernée».
«Elle m’a dit que peu lui importait», complète-t-il. Il s’est converti, leur mariage est donc béni par l’Église. D’où le scandale lorsque le pot aux roses est dévoilé, suite aux indiscrétions d’une gouvernante.
Après un peu plus d’un an passé en prison, Henriette Favez est expulsée vers La Nouvelle-Orléans, aux États-Unis. Là, elle rejoint la congrégation des Filles de la Charité, dont elle prendra la tête et au sein de laquelle elle meurt en 1856. Sous le nom de Magdalena, autrement dit Marie Madeleine, une autre pécheresse.
Lausanne, hall d’entrée du Palais de Rumine, place de la Riponne 6, du 31 mars au 1er mai, exposition «Entre les genres et les mondes. Dr Favez (1791-1856)». Entrée libre.
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