Sale affaire – 1937Le faux-monnayeur payait ses bonbons en faux billets de 100
Coup d’œil dans la chronique judiciaire de la «Feuille d’Avis de Lausanne» du «bon vieux temps».

Le plan d’Armand J. était bien conçu, mais pas aussi réussi que ses faux billets de banque: débarquer à Lausanne par le train de Paris arrivant peu avant 18 heures, ce 8 juillet 1937, les poches remplies de coupures de 100 francs suisses sorties de sa presse, et foncer les échanger dans divers magasins avant de repartir en sens inverse. Entre 18 et 19 h, il visite ainsi différents commerces. Comme celui d’Ernest Z., confiseur à la rue de Bourg, qui lui vend des bonbons pour 1 fr. 60 et lui rend donc 98 fr. 40 de bonne monnaie. Ailleurs, c’est un peu de chocolat, des cigarettes ou des lames de rasoir, chez des commerçants de la rue de l’Ale à l’avenue de Beaulieu.
Mais l’épicière de la place Chauderon, Adèle R., a des doutes sur la validité du bifton qu’on lui tend. Le trouvant bien pâle, elle refuse de l’encaisser. Armand J. quitte alors l’échoppe, abandonnant le beau billet bleu, décoré d’une tête de femme au recto et du faucheur de Hodler au verso. Avertie de ce curieux comportement, la police se met aussitôt en chasse et alpague rapidement le filou. Conduit au poste de Saint-François, il ne tarde pas à reconnaître les faits. Il aurait du mal à nier, vu les 70 faux billets de 100 francs et les 487 francs trouvés sur lui. Pour se faire une idée de la valeur, disons simplement qu’en 1937, 100 francs permettent de s’abonner pour cinq ans à la «Feuille d’Avis de Lausanne»…
Jusqu’à 20 ans de réclusion
Le 16 novembre 1937, le faussaire de 30 ans comparaît devant le Tribunal criminel de la capitale vaudoise, accusé d’escroquerie, tentative d’escroquerie et infractions à la loi fédérale, dont l’article 66 est ainsi libellé: «Celui qui dans le but de les mettre en circulation comme authentiques, aura confectionné de faux billets de banque, sera puni de la réclusion jusqu’à 20 ans.»
La «Feuille d’Avis» relate comment, devant la cour, Armand J. explique en détail le procédé de fabrication des faux: «Au moyen d’un pantographe, l’escroc copia, en l’agrandissant chaque fois, un billet de cent francs de notre Banque nationale. J. confectionna 7 planches, dont 4 pour le recto et 3 pour le verso, chacune d’entre elles reproduisant tous les dessins portant la même couleur. Puis, il photographia les dessins ainsi obtenus et ramena les clichés au format du billet régulier. Ensuite, par le procédé de la photogravure, il confectionna des négatifs en relief sur plaques de zinc. Enfin, il procéda à l’impression des billets, sur papier vélin ordinaire, au moyen d’une presse rudimentaire qu’il avait fabriquée lui-même. Ce travail de falsification fut effectué, à Paris, par l’inculpé seul.»
«L’imitation est excellente, la couleur seule laisse à désirer.»
Le prévenu, qui n’a «aucune formation professionnelle, mais un goût marqué pour le dessin», consacra 4 mois environ à ce travail. Il en est assez fier: «En constatant que mes ébauches étaient assez réussies, j’ai décidé de parachever l’œuvre!» Le chroniqueur judiciaire de la «FAL» commente: «Le nombre de faux billets fabriqués est de nonante. Nous en avons eu deux sous les yeux: l’imitation est excellente, la couleur seule laisse à désirer, l’auteur n’a pas pu obtenir la teinte du billet authentique. Le bleu est verdâtre!» On apprend que J. n’en est pas à son coup d’essai: en 1932, il a été arrêté à Dunkerque pour fabrication de faux billets de 10 fr., mais fut acquitté par le tribunal de cette ville.
Remarquable savoir-faire
Les juges lausannois ne vont pas être aussi cléments. Le substitut Pierre Chavan reconnaît chez le faux-monnayeur «un remarquable savoir-faire et des connaissances techniques, notamment chimiques, n’étant point à la portée de tous», mais rappelle la gravité de l’acte et réclame 6 ans de réclusion. Défenseur d’office, Gustave Genillard évoque les circonstances atténuantes – aveux complets, enfance abandonnée, jeunesse honnête, chômage, etc. – et la Cour envoie l’habile filou méditer 3 ans derrière les barreaux du pénitencier de Bochuz sur la perspicacité des épicières lausannoises.
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