La course aux cryptomonnaies met à ce point les autorités monétaires sous pression qu’elles se sont sérieusement attelées à l’étude de ce que pourrait devenir une monnaie numérique de banque centrale à notre portée à tous.
Un groupe de travail réunissant les principales d’entre elles (dont la BNS) à Bâle, au siège de la Banque des règlements internationaux (BRI), vient de produire un troisième rapport d’étape montrant si besoin était combien l’affaire devient urgente. C’est que la galaxie des cryptomonnaies explose (on en dénombre pour l’heure près de 6500), et que plusieurs d’entre elles sont en train d’exercer suffisamment d’attrait pour concurrencer sérieusement les formes classiques de monnaie, à savoir la monnaie de papier et la monnaie de compte.
«Il y a beaucoup de raisons pour rechercher […] un moyen électronique de paiement aussi banal et universel que le billet de banque.»
Cette dernière est certes déjà électronique, mais elle ne présente pas toutes les garanties de sécurité, puisqu’elle est exposée par nature à un risque de contrepartie, celui de l’illiquidité ou de l’insolvabilité de la banque auprès de laquelle elle est déposée. Elle n’est pas non plus bon marché, puisque les banques qui l’émettent facturent à leurs clients des frais d’autant plus élevés qu’elles se trouvent, à court terme du moins, en position de quasi-monopole (on ne change pas de banque comme de chemise).
Il y a donc beaucoup de raisons pour rechercher, du côté de l’internet et de l’usage de l’ordinateur sous toutes ses formes – y compris surtout le smartphone – un moyen électronique de paiement aussi banal et universel que le billet de banque.
Des chercheurs de la BNS – qui précisent n’engager qu’eux-mêmes – ont étudié la chose et sont parvenus à la conclusion qu’il était parfaitement possible, moyennant quelques algorithmes dont la sophistication échappe à l’entendement des non spécialistes («signature aveugle», cryptographie asymétrique, chiffrement à clé publique/privée, etc.), de créer sous forme de «jetons» une monnaie numérique de banque centrale présentant toutes les qualités d’anonymat, de confidentialité, de sécurité et de fongibilité qui font du billet de banque l’instrument monétaire par excellence sous le règne du papier*.
«Il n’est pas simple d’accommoder le jeton électronique à la sauce habituelle.»
Il leur fallait d’abord écarter l’autre voie envisageable, celle d’une monnaie numérique de banque centrale basée sur des comptes, qui ne ferait que reporter sur la banque centrale la fonction d’intermédiation assurée aujourd’hui par les banques. Et ne respecterait pas de ce fait l’aspect primordial de l’anonymat, puisque chaque transaction laisse derrière elle une trace comptable.
Reste qu’il n’est pas simple d’accommoder le jeton électronique à la sauce habituelle de la monnaie papier. Comment «rendre la monnaie»? Comment déjouer les possibilités de clonage (les «hackers» équivalant en l’espèce aux faux-monnayeurs d’aujourd’hui). Ou comment tout simplement se protéger contre le vol?
Un «instrument numérique au porteur»
La solution imaginée par les auteurs fait certes passer les interactions entre acheteurs et vendeurs (entre consommateurs et commerçants) par les banques, permettant à celles-ci de connaître les auteurs des retraits et des dépôts (comme aujourd’hui elles le font pour les retraits et les dépôts de monnaie papier), mais elle laisse ensuite l’auteur de chaque opération de paiement dans l’anonymat et l’invisibilité, puisque ce dernier n’a besoin que d’autoriser la transaction, et non de s’identifier lui-même. Bref, concluent les auteurs de l’étude, ces qualités font du jeton tel qu’envisagé «un véritable instrument numérique au porteur».
Ainsi sera la monnaie de demain.
* Comment émettre une monnaie numérique de banque centrale (David Chaum, Christian Grothoff, Thomas Moser, SNB Working Papers 3/2021)
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Carte blanche – Le jeton électronique, monnaie du futur
Marian Stepczynski se penche sur la volonté de créer une monnaie numérique de banque centrale, à laquelle s’intéresse la Banque nationale suisse.