«Le latin vous en apprend beaucoup sur la nature de l'homme»
Professeur emblématique du gymnase d'Yverdon, latiniste comme on en fait plus, Jean-François Cand prend sa retraite.

Il a ce regard toujours prenant, ce sourire en coin et la main gauche qui s'agite comme si elle cherchait une craie. Archétype des enseignants de latin comme on n'en fait plus, Jean-François Cand, prend sa retraite. Jean-François Cand, c'est l'image même du prof que les élèves n'oublient jamais. Une culture encyclopédique et l'humour qui pique. «Il m'a beaucoup marqué. Avec lui, les cours étaient drôles, vivants, on décollait vite du texte pour faire une leçon sur la société et sur la vie en général», sourit une de ses anciennes élèves, France Terrier, aujourd'hui conservatrice du Musée d'Yverdon.
Au Gymnase d'Yverdon justement, où il a commencé à poser ses cartables dans les années 1970, Jean-François Cand était surtout une méthode. Ou plutôt l'absence cultivée de méthode. Il aime dire qu'il est un pragmatique qui se sent insulté quand on le traite de pédagogue. «J'ai écrit un livre de pédagogie, mais je ne l'ai jamais rouvert je crois. Ni un seul autre d'ailleurs.»
Il préfère l'application à la théorie. D'ailleurs, plus que sur leurs versions, des classes entières se sont retrouvées à sécher sur la difficile toponymie des villages vaudois dont il est passé maître. Des Clées à Villarzel, du latin d'ici au français médiéval, peu de lieux-dits lui ont échappé. Au grand dam des têtes blondes. «C'est plus gratifiant quand on trouve tout seul», sourit-il.
Les déclinaisons du chat
Cet indéboulonnable Yverdonnois a eu deux femmes dans sa vie. Et plusieurs chats. Le premier s'appelait Catulle. Un autre Zorba, comme le Grec. Un troisième Boudu, passé vedette à son insu pour son évocation régulière face à une déclinaison qui se faisait difficile: «Même mon chat saurait ça» est devenu une rengaine. A tel point que dans les années 1980, des élèves finissent par réaliser une bande dessinée à la gloire de la boule de poils.
Aujourd'hui, l'intérêt des étudiants pour le latin est intact, assure-t-il. «C'est juste que les intérêts se sont multipliés. Ils trouvent dans d'autres disciplines des intérêts immédiats, on peut les comprendre. En latin par contre, les choses deviennent intéressantes avec le temps.»
Il sait de quoi il parle. Après avoir abandonné le russe au sortir de l'Uni («Ça ne me servait à rien»), Jean-François Cand a exploré la langue de Tacite, Virgile ou Lucrèce – tous ces auteurs qui deviennent finalement des proches – pendant cinquante ans. Et il reste persuadé que le latin apporte bien plus qu'une langue. «C'est une culture, une façon de réfléchir. Ça vous en apprend beaucoup sur la nature de l'homme.»
Le latin inculquerait aussi une certaine idée du service à la société. «Cicéron ne pouvait pas vivre sans servir l'Etat. Ou sans mettre l'Etat à son service, remarquez.» L'orateur d'Arpinum a déteint. Et pas que sur l'ancien prof, devenu pilier de la culture yverdonnoise. Ses élèves ont souvent fini journalistes, figures culturelles ou politiques. Citons la future conseillère d'Etat Cesla Amarelle, dont le jeune retraité a récemment épousé la cause. En 2015, il est entré au Conseil d'Yverdon la rose à la main. Pourquoi? «On est beaucoup, ce qui fait moins de travail.» Mais aussi parce qu'on ne se refait pas: «Mon père était un syndicaliste aux ateliers CFF.»
Lettré insatiable, marqué par Balzac et Stendhal, l'homme œuvre aux Editions de la Thièle. C'est aussi un lecteur à qui peu de textes échappent dans le Nord vaudois. Récemment, il y a eu Manon Leresche, une jeune fille de Ballaigues, et sa Peau morte: le récit d'un viol un soir de juillet, puis d'une lente reconstruction, rédigée sous l'œil du maître. Il l'encourage, la modère, l'aide. Ce devait être un travail de maturité gymnasial, c'est devenu un succès littéraire.
Départ sans tambours
En lieu et place d'une agape d'adieux, Jean-François Cand a emmené sa classe aux mosaïques de Vallon. Avant de tenter de faire ses cartons discrètement.
«Si je devais vous citer une locution, j'en retiendrais une d'Horace: Eheu fugaces, Postume, labuntur anni. Autrement dit: «Hélas Postumus, les années fugaces fuient.» Il enchaîne vite, et balaie d'un geste de main la fin de l'Ode latine. «Mais ça ne me correspond pas vraiment. Disons que la vie suit son cours.»
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