Histoire d’ici – 1920Le premier Comptoir Suisse doit exalter l’indépendance du pays
Le canton de Vaud, et la Suisse entière, ont besoin d’augmenter leur degré d’autosuffisance alimentaire.

C’est la grande affaire de cette année 1920 dans le canton de Vaud: le Comptoir Suisse des industries alimentaires et agricoles. Dix ans après avoir accueilli l’Exposition nationale suisse d’agriculture, après avoir pendant trois ans mis sur pied un Comptoir vaudois d’échantillons, Lausanne est parvenue à se hisser à nouveau au centre des préoccupations des milieux économiques suisses.
Après de longues et parfois pénibles négociations, il a été convenu que Bâle tiendra chaque printemps sa foire généraliste, alors que la capitale vaudoise aura chaque automne sa manifestation spécialisée. Comme le dira le président de la Confédération Giuseppe Motta lors de la journée officielle: «Il aurait été fâcheux que Bâle et Lausanne, deux villes sœurs, deux grands laboratoires d’expériences et de travail, n’eussent pu trouver une formule qui conciliât leurs aspirations et leurs intérêts.»
«L’honneur du canton de Vaud était engagé dans la réussite de cette première entreprise.»
Président du comité d’organisation, le député radical Eugène Faillettaz explique qu’en spécialisant le premier Comptoir Suisse: «Nous nous sommes inspirés de l’orientation économique de nos cantons romands où l’agriculture tient une place si honorable et si indispensable. D’autre part, les principales industries alimentaires de notre pays ont leur berceau dans notre canton; elles sont intimement liées aux produits du sol. Travailler au développement de notre industrie, tout en ayant l’obligation de protéger la terre, est une formule heureuse.»
Au moment de l’ouverture, autorités et organisateurs ont «la pression», comme on dirait de nos jours. Ils sont condamnés à réussir, reconnaît Ferdinand Porchet, chef du Département de l’agriculture et du commerce: «L’honneur du canton de Vaud était engagé dans la réussite de cette première entreprise.» Car le Pays de Vaud, comme la Suisse entière de cet immédiat après-guerre, est en crise. Le Comptoir se voit privé d’une attraction majeure quand une épizootie de fièvre aphteuse empêche la tenue de l’important marché-concours de bétail.
Heureusement, l’audacieuse halle faite de grands arcs en béton armé est sortie de terre dans les délais, et «elle force l’admiration par ses vastes proportions et par l’extraordinaire hardiesse de sa structure», constate l’hebdomadaire «Conteur Vaudois». Les exposants sont 581 à avoir répondu présent à l’appel du Comptoir Suisse, «plus du double du nombre qu’on espérait», relève la «Feuille d’Avis de Lausanne». «Tous les cantons, ou à peu près, y sont représentés», se réjouit Eugène Faillettaz dans son discours inaugural.

La presse, invitée à visiter la foire le jour précédant l’ouverture, est dithyrambique. L’hebdomadaire socialiste «Le Grütli» y voit ainsi «la plus belle démonstration de ce que peut produire la collaboration des classes».
«Les halles de Beaulieu contiennent des merveilles qui ont fait hier l’admiration de nos confrères. C’est une belle et réconfortante glorification de nos richesses nationales dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation», jubile la «Feuille d’Avis».
«Notre estomac est, pour bien des choses, hélas!, tributaire de l’étranger»
Le quotidien vaudois pointe la problématique qui sous-tend l’organisation de la manifestation à travers une allusion aux privations et rationnements qui ont marqué la population durant le conflit mondial et jusqu’en avril 1920: «Notre estomac, il ne le sait que trop, est, pour bien des choses, hélas!, tributaire de l’étranger, mais le Comptoir Suisse nous prouve éloquemment que nous pouvons encore, dans une mesure appréciable, vivre sur notre fonds.»
«Nous ne pouvons être indépendants qu’à la condition de produire abondamment»
Reconquérir son indépendance à travers une autosuffisance alimentaire qui a fait défaut cruellement à la Suisse, tel est le leitmotiv du discours que prononce le président de la Confédération Giuseppe Motta lors de la journée officielle: «La guerre mondiale nous a fait sentir et je dirai presque toucher du doigt notre dépendance extérieure et le caractère précaire de nos conditions matérielles. Nous sommes très pauvres en matières premières; nous n’avons ni métaux ni charbons; nous ne produisons qu’une faible part de notre besoin en céréales. Nous sommes donc dépendants, en une très large mesure, de la bonne volonté des pays étrangers. Ce fait constitue un péril très grave pour notre liberté politique […] Nous ne pouvons être indépendants qu’à la condition de produire abondamment les biens destinés à la consommation intérieure et ceux qui servent de matière d’échange à nos importations de l’extérieur. Plus et mieux nous aurons pu produire, plus notre instruction agricole, industrielle et commerciale se sera développée, plus l’étranger aura appris à apprécier et, par conséquent, à demander nos marchandises, plus nous serons devenus vraiment libres.»
Un succès énorme
Le Comptoir de 1920 est un succès éclatant, dépassant les attentes. Pas seulement en raison des nombreux syndics dans les trois carnotzets! Avec 298’000 entrées, soit une moyenne de 18’600 visiteurs par jour, les organisateurs ont fait un carton. Côté commerçants, on parle certains jours de plus d’un million de francs de commandes. Les stands de dégustation n’ont pas désempli: les «accortes Bernoises» du petit chalet Tobler ont ainsi servi pas moins de 65’000 tasses de cacao. Le restaurant a vendu dans les 24 à 25’000 bouteilles de vin: la Suisse ne sera jamais autosuffisante sur le plan alimentaire, mais au moins elle ne mourra pas de soif.
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