Elisa Shua Dusapin au théâtreLe roman «Hiver à Sokcho» prend vie sur les planches
Frank Semelet signe une mise en scène tout en nuances du premier roman de l’autrice jurassienne, au Reflet à Vevey puis en tournée. Critique.

C’est un spectacle doux et beau comme un champ recouvert de neige sous un soleil de janvier. «Hiver à Sokcho», sublime roman d’Elisa Shua Dusapin, prend vie au théâtre dans une version ciselée par l’autrice jurassienne et son compatriote Frank Semelet, qui signe là une première mise en scène tout en nuances et en délicatesse, sur les planches du Reflet à Vevey, avant de s’aventurer dans une belle tournée romande.
Auréolé du National Book Award dans la catégorie «littérature traduite», le roman déroule une narration quiète mais parsemée de traits vifs et d’ellipses laissant éclore les fleurs de l’imaginaire. L’histoire se noue avec l’irruption de Yan Kerrand (Frank Semelet), bédéaste normand en quête d’inspiration, qui vient rompre la monotonie hivernale de la pension du vieux Park à Sokcho, petite station balnéaire sud-coréenne encore marquée par les stigmates de la guerre. L’héroïne et narratrice (Isabelle Caillat), timide employée du modeste établissement, s’ouvre au contact de cet homme insaisissable qu’elle apprivoisera peu à peu.
La comédienne, récente lauréate du Prix d’art dramatique Swissperform, est d’une justesse rare dans ce corps de femme tiraillée entre ses rêves, qui s’éloignent chaque jour un peu plus, et le devoir de prendre soin de sa mère malade. Dans sa jupe austère, Isabelle Caillat compose un personnage subtil, énigmatique. Soudain, elle module sa voix et endosse le rôle de sa mère et de sa tante, figurées par des gants blancs qu’elle agite tels deux marionnettes.

La pièce gagne encore en profondeur grâce à son dispositif visuel. Assis à son bureau en bord de plateau, Pitch Comment opère une mise en abyme du récit. Double de Yan Kerrand, le dessinateur jurassien esquisse, en direct, les contours d’une porte, la statuette du chat posé sur l’ordinateur ou le paysage avili par des barbelés.
Projetées sur un grand écran blanc dressé à l’arrière du plateau, ses images forment un décor fugace, qu’il efface d’un coup de pinceau. Ici, un cœur dessiné à la hâte évoque des sentiments naissants; là, des phylactères surgissent, laissant apparaître des pensées latentes. «Hiver à Sokcho» prend corps dans cette traduction graphique de l’écriture sobre, élégante et leste d’Elisa Shua Dusapin.
Les dessins, les voix, la musique, tout s’entrelace dans cette partition vibrante qui nous emmène dans une douce mélancolie hivernale.
Vevey, Le RefletJusqu’au 15 janv. Puis en tournée romande.www.lereflet.ch
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