Le sel, le fromage, des biens de première nécessité pour la Suisse de l’Ancien Régime. Sans le premier, rien ne peut se penser dans la gestion alimentaire de la population, de par ses vertus d’agent conservateur. Et le second, qui dépend lui aussi d’un bon approvisionnement en sel, est vital pour les régions les plus pauvres du pays: c’est leur seul véritable produit d’exportation… à part les mercenaires fort sollicités par les princes étrangers.
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Le sel est donc un produit politique. Or la Suisse, pauvre en matières premières, hormis l’eau (mais son utilité énergétique ne se révélera que plus tard), l’est aussi en sel. La Confédération, dépourvue d’un gouvernement centralisé mais «pilotée» par une Diète aux faibles pouvoirs qui réunit les délégués des cantons, est donc obligée de s’y intéresser. La Diète est néanmoins chargée des traités commerciaux avec l’étranger. Le sel devient ainsi l’un des enjeux des négociations, notamment avec la France, comme l’expose Guillaume Poisson dans son ouvrage «18 novembre 1863. Louis XIV et les cantons suisses», publié en 2016 au Savoir suisse.
«Les Suisses ont des intérêts divergents, mais des besoins communs: le sel en est un.»
Les fameuses tapisseries des Gobelins apposées sur les murs de l’Ambassade de Suisse à Paris racontent cet épisode central de l’histoire suisse. Les émissaires de la Confédération devront avaler des couleuvres, accepter d’ôter leurs chapeaux devant Sa Majesté, qui prend toutefois la peine de les rencontrer: il a aussi besoin de leur appui pour ses ambitieuses opérations militaires. Les historiens sont cependant d’accord: les Suisses, malgré leurs désaccords, réussiront à obtenir des avantages non négligeables de la part de la France. Les Suisses ont des intérêts divergents, mais des besoins communs: le sel en est un.
Les Confédérés, pas inactifs pour autant, cherchent à développer une production salifère autochtone, au point de l’ériger en tâche régalienne de l’État: l’espoir de se libérer d’une pesante dépendance envers l’étranger est grand… mais ne se réalisera jamais. Les Bernois s’attachent néanmoins à cette mission dès que des signaux positifs jaillissent des montagnes vaudoises, qu’ils ont intégrées dans leur zone d’influence entre 1476 et 1536.
«Diplomatie salifère»
Dès 1554 les travaux commencent à Bex: les Salines sont nées. C’est leur histoire que narrent Maryse Vernez et Lucienne Hubler dans «Une pincée de sel. Les débuts de l’exploitation salifère dans le Chablais vaudois, 1554-1685», publié à la Bibliothèque historique vaudoise en 2021. Sous l’époque napoléonienne, la dépendance de la Suisse à l’égard du sel français ne diminuera en rien. C’est l’histoire tumultueuse de cette diplomatie salifère que présente Étienne Hofmann dans un très attendu «Napoléon, le sel et les Suisses», à paraître chez Slatkine.
Fromage et sel: deux objets d’apparence banale mais piliers de notre économie et donc objets politiques majeurs dans une jeune Confédération qui, en plus de devoir se battre pour affirmer son indépendance au cœur du continent, doit aussi assurer sa survie économique.
Pour aborder la discussion autour de ces deux textes, nous vous invitons à participer au grand débat public organisé par la Ville de Lausanne, mardi 5 octobre 2021 à 19 h, salle du Conseil communal de Lausanne, à l’Hôtel de Ville, pl. de la Palud 2.
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L’invité – Le sel: une matière première pour les Suisses
Olivier Meuwly souligne que «l’or blanc» fut un pilier de notre économie et un produit politique.