La municipale lausannoise des Sports s’enthousiasme, dans un tous-ménages, de l’accueil du Tour le 9 juillet. Selon elle, le public va «vibrer» devant les «puncheurs». Il est cependant permis de questionner la démesure de l’événement et son impact réel sur l’usage urbain de la bicyclette.
Dans son «Histoire du Tour de France» (La Découverte, 2014), Jean-François Mignot rappelle la «visée commerciale» originelle du spectacle. Un siècle après sa création, le dépliant en fournit un avatar: outre les boutiques officielles du Tour, les 140 véhicules – sans compter ceux des suiveurs – de la «caravane publicitaire» précédant les 176 coureurs inonderont deux heures durant de bibelots la foule agglutinée sur l’asphalte. Une métaphore orientaliste lénifiante au moment de la contestation de la réclame et sa pollution visuelle sur le domaine public.
«Au moins 5 des 22 équipes engagées ont partie liée aux énergies fossiles, et trouvent dans le sport une manière opportune d’acheter leur réputation à peu de frais.»
Simultanément, la Ville s’engage à «réduire les déchets et promouvoir le recyclage». Dans «Homo detritus. Critique de la société du déchet» (Seuil, 2017), Baptiste Monsaingeon constate que, plutôt que ne pas produire, «bien jeter est devenu un moyen pour pouvoir continuer à (mieux) consommer». Le fascicule communal signale également l’existence de deux zones de food trucks, dont l’offre diverge sensiblement de l’assiette idéale des nutritionnistes.
Tandis que les hélicoptères brûleront du kérosène pour les images TV, au moins 5 des 22 équipes engagées ont partie liée aux énergies fossiles (Astana, Bahreïn, Emirates, Ineos et Total Energies) et trouvent dans le sport une manière opportune d’acheter leur réputation à peu de frais. Enfin, loin de l’impérative sobriété énergétique, neuf écrans (décidément omniprésents) géants rappelleront les ravages de l’extractivisme minier.
En 1987, feu Laurent Rebeaud reproduisait dans «La Suisse verte» les cinq critères destinés à servir de boussole à l’action des élus du jeune Parti écologiste suisse: long terme, qualité, humanisme, décentralisation, antitechnocratie.
Mobilité et sport business
Les manifestations internationales contreviennent à la durabilité via l’acheminement des participants. Valorisant la compétition, le sport d’élite et sa masculinité médiatique écrasante défient la coopération et la solidarité. L’affluence de dizaines de milliers de personnes vers le chef-lieu pose d’importants défis logistiques. Au final, cette grand-messe n’est-elle pas à la pratique du vélo au quotidien ce que le show-business indécent de la FIFA est à la convivialité du «football des talus» immortalisé par Roger Félix pour la RTS en 1981?
Développer la mobilité active et collective au détriment de la motorisation individuelle (y compris électrique) s’impose à l’heure de l’accélération de la catastrophe environnementale. Mais miser sur le Tour de France à ces fins, c’est se tromper de braquet. Dans le sillage du salutaire collectif «Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public» (Seuil, 2022), la petite reine ne doit pas devenir le fou du roi du verdissement de façade généralisé.
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L’invité – Le Tour de France dopera-t-il la pratique du vélo en ville?
Grégoire Gonin, historien, questionne la démesure de l’événement sportif et son impact en termes d’écologie et de durabilité.