L'écrivain Jim Harrison est parti chasser dans l'au-delà
Le colosse est mort d'un arrêt du cœur samedi dans sa maison d'Arizona à 78 ans.

Jamais à court d'images, Jim Harrison est mort samedi, d'une crise cardiaque, le stylo à la main, son œil borgne penché sur sa dernière poésie, à 78 ans. Ces dernières années, l'écrivain ponctuait ses voyages à Paris d'une remarque malicieuse: «Vous reviendrez me voir l'an prochain, si je suis toujours de ce monde?»
Avec un indécrottable humour, lui qui fréquentait les chamans et conversait avec les ours aimait citer Dostoïevski et la Bible. «La sensibilité judéo-chrétienne m'a cadré le monde pour le meilleur et pour le pire, confiait-il dans une récente interview au New York Times. Maintenant que je suis à un âge avancé, je me dis qu'on nous apprend à croire mais qu'ensuite on échoue à nous apprendre comment ne plus croire. Je me rends compte que je crois encore dans la Résurrection, bien que je l'aie légèrement améliorée dans un poème.» Il y contait qu'en route pour la crucifixion, Jésus avait demandé à un chien de l'attendre dans sa tombe pour qu'ils puissent monter ensemble au paradis.
Légende vivante
Son œuvre, 14 romans, 10 recueils de poésies, autant que son ébouriffante personnalité lui ont taillé de son vivant une légende. Au point que ce chantre des beautés terrestres était devenu l'incarnation du nature writing, ce mouvement qui unit auteurs du Montana et des vastes plaines dans la célébration des terres américaines. A la façon d'un Henry David Thoreau contemporain ou d'un Walt Whitman qui aurait humé trop d'herbe, Jim Harrison a tamisé un alliage rare de philosophie et de sentiment. A sa vaste érudition s'ajoute ainsi une connaissance du moindre pépiement d'oiseau, de la trace infime d'une bête sauvage, d'une caresse de vent sur l'eau.
Le succès prit son temps avec cet ornithologue botaniste, éborgné par une camarade à 7 ans, solitaire que la double mort accidentelle de sa sœur et de sa mère à l'adolescence détournait encore de la société. Légendes d'automne, en 1979, marque son premier succès. Grâce à l'éditeur Christian Bourgois, le romancier envoûte alors le public francophone, bien plus que ses propres compatriotes pour qui il reste un «maverick» inclassable. Le géant publie Un bon jour pour mourir, Dalva ou Odyssée américaine. Entre ces classiques, des essais gastronomiques, sportifs ou sociétaux, des poèmes aussi le rappellent au bon souvenir de ses aficionados.
L'entretien du mythe
Dès 2007, son traducteur attitré et biographe, Brice Matthieussent, se fâchait des clichés réducteurs traînés par ce cabossé sur la scène littéraire. «Jim Harrison tiendrait le rôle tragicomique d'un Gargantua yankee travaillé par la chose indienne et réfugié dans son Harrison's Country, le Michigan.» Il faut savoir que l'intéressé entretenait son mythe avec la coquetterie d'un pinson. Pourfendu par les féministes américaines, il s'amusait d'attiser le feu en précisant préférer de loin celles qui se battaient une poêle à la main aux penseuses frustrées dans les universités. Il régalait de souvenirs orgiaques avec Jack Nicholson ou Orson Welles, combattait la modération diététique dans Aventures d'un gourmand vagabond. Et ne manquait jamais de souligner la rondeur des fesses des Françaises ou la supériorité de la peau parfumée des serveuses comparée à la chair inodore des top models hollywoodiens. Jadis, le colosse rabelaisien pouvait attraper un avion pour déjeuner à Paris, lunch qui, en onze heures, le vit déguster 37 plats et 19 vins.
Maté par le diabète et l'hypertension, Big Jim s'était rangé aux conseils de son épouse, décédée en octobre. Avec un peu de regret, le grizzly vieillissant se contentait de Bandol plutôt que de Romanée-Conti 1953, prônait l'humilité vertueuse du «chien percuté par une voiture, qui se traîne à l'écart de la route», citait le maître zen Dogen: «Je mijote en douceur pour que la cuisson soit parfaite…» Dans Les jeux de la nuit , en 2010, Jim Harrison, les sens affûtés, admet qu'il ne viendra jamais à bout de ses Mémoires. «La vérité? Je pourrais écrire chaque jour le même chapitre de ma vie, je raconterais chaque fois quelque chose de différent.» Et conclut avec sérénité pouvoir envisager «l'hypothermie de son âme».
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