Genève: l'Hôtel Aïda sème le trouble
Les collectifs de défense de migrants réclament que les mineurs ne soient plus placés à l’Hôtel Aïda, à Plainpalais. Les adolescents seraient quotidiennement menacés par le patron. L’État, qui rémunère l’établissement, reconnaît des tensions.

Manque de liberté, d’intimité, de contact avec des compagnons d’infortune et crainte de finir à la rue. Ils sont adolescents, survivent seuls à Genève et sont logés à l’hôtel dans des conditions exécrables. Une trentaine d’adolescents, des mineurs non accompagnés (MNA), vivent actuellement à l’Hôtel Aïda, pointé du doigt par des associations de soutien aux migrants. Une manifestation s’est ainsi déroulée il y a dix jours devant l’établissement bordant la plaine de Plainpalais.
Les collectifs de défense des MNA ont récolté des témoignages de résidents. Ceux-ci, originaires du Maghreb et ne pouvant donc avoir le statut de réfugiés, vivent dans la précarité dans cet hôtel.
«On n’a pas de clé, n’importe qui peut rentrer prendre des habits. Même le patron rentrait dans les chambres, il est très méchant. Il entre comme il veut, comme un policier», raconte ainsi Younes, arrivé à 15 ans en Suisse. Ces mineurs sont logés au milieu de clients ordinaires. Ils ont pour ordre de ne pas les croiser.
«Le patron ne nous laissait pas monter par l’ascenseur, il nous demandait de ne pas parler avec les autres, il venait taper nos portes à minuit», poursuit le jeune homme. Ils ne doivent également pas rester devant l’entrée de l’hôtel.
Ils ont pour obligation de respecter ces règles très strictes. Leur vie en dépend. «S’ils ne le font pas, ils sont mis à la rue, explique Léa du collectif Lutte des MNA. Presque tous ces jeunes finissent par être expulsés.»
D’après ces mineurs, le patron de l’hôtel tiendrait aussi des propos racistes à leur encontre ou leur affirme qu’ils sont destinés à finir en prison. «Le patron de l’hôtel n’aime pas les MNA mais il a certainement des motivations financières puisque l’État paie cher pour qu’il les accueille. Les autorités se rendent complices de ces abus», estime Léa.
Des avocats genevois prennent en charge les MNA expulsés de l’Aïda. Ils ont mis en place une permanence hebdomadaire afin de les conseiller dans leurs démarches auprès du Service de protection des mineurs. Une de ces juristes confirme les problèmes au sein de l’établissement.
«Les conditions dans lesquelles ces jeunes sont logés sont exécrables, confirme Me Sophie Bobillier. Des mineurs se font régulièrement expulser de l’hôtel arbitrairement. Il y a sévi des épidémies de gale laissant des mineurs à la rue. On leur reproche également la non-conformité aux règles de l’hôtel. Or des adolescents livrés à eux-mêmes, qu’ils soient Suisses ou non, ont besoin d’un cadre éducatif pour se soumettre à des règles. Un hôtel ne peut pas offrir un tel cadre.»
Les associations demandent que l’hébergement à l’hôtel des MNA cesse. Sept établissements sont employés par l’État. À l’Aïda, après avoir accueilli des réfugiés des Balkans dans les années 90, il peut encore recevoir des requérants d’asile majeurs mais aussi des femmes battues, par exemple. Un mélange de personnes aux parcours cabossés jugé inopportun.
«Il manque certes de places en foyer mais l’hôtel est inadapté. Il est urgent que des solutions admissibles soient trouvées et que les autorités se conforment aux exigences légales», estime Me Bobillier.
Créé: 16.11.2019, 22h48
Le Canton de Genève manque de solutions
La direction de l’Hôtel Aïda se refuse à tout commentaire. Sur place, un employé renvoie à l’État, seul habilité à répondre. Le Département de l’instruction public, qui gère le dossier des mineurs non accompagnés (MNA), confirme des tensions.
«La cohabitation au sein de cet hôtel est parfois difficile, raison pour laquelle des éducateurs sociaux y interviennent quotidiennement», indique le porte-parole Pierre-Antoine Preti.
Le Canton avait assuré en août aux associations que l’hôtel n’accueillerait plus de MNA. Mais la création d’un foyer à Malagnou n’a pas résolu le problème.
«Cet été, l’État a indiqué qu’il ouvrirait un lieu dédié avec un encadrement socio-éducatif mieux adapté que dans les hôtels sociaux. Ce lieu est désormais ouvert et compte 20 places. Toutefois, cela ne suffit pas pour loger les 80 jeunes concernés ce jour, soit le double par rapport à la situation fin août. Dans l’attente d’autres solutions que l’État recherche activement, la mise à l’abri d’urgence dans un hôtel social est la seule solution pour leur éviter la rue», indique le DIP.
Une évaluation de la situation de ces adolescents est effectuée pour déterminer leurs conditions d’hébergement.
«Les foyers accueillent principalement les mineurs non accompagnés identifiés comme les plus vulnérables, par exemple sur le plan de la santé», précise Pierre-Antoine Preti.
Les hôtels sociaux sont pour leur part rémunérés entre 85 et 95 francs par nuit par l’État pour héberger des personnes en situation d’urgence. Les MNA peuvent donc bien se retrouver parmi eux.
«Le recours aux hôtels sociaux est une pratique mise en place par l’Hospice général, qui l’utilise régulièrement. Il est donc possible que des adultes soient hébergés dans ce type d’hôtel», confirme le Département de l’instruction publique.
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