Votations du 13 juinL’empreinte climatique suisse déborde de ses frontières
Le peuple suisse se prononcera le 13 juin prochain sur la révision de la loi sur le CO2. Selon les opposants, les émissions de gaz à effet de serre sont déjà en diminution. Pourtant, notre empreinte carbone à l’étranger augmente. Décryptage.

La révision de la loi fédérale sur les émissions de gaz à effet de serre (loi sur le CO2) est le principal instrument législatif mis en place par la Suisse pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Le projet prévoit un arsenal de mesures visant à réduire les émissions de CO2, dont une augmentation de la taxe sur les combustibles fossiles et les billets d’avion. Les recettes seront en partie redistribuées à la population et affectées à un fonds pour le climat.
Deux référendums ont été lancés. Parmi les arguments des opposants, la Suisse serait déjà suffisamment exemplaire en matière de politique climatique et n’exercerait presque aucune influence sur le climat mondial. L’empreinte carbone émise par la consommation des Suisses ne se cantonne néanmoins pas aux frontières du pays.
La guerre des chiffres
Les émissions de CO2 sont généralement mesurées sur la base des émissions produites à l’intérieur d’un pays (ménages, transports, activités économiques). Ces données – aussi appelées émissions «territoriales» ou «domestiques» – sont utilisées lorsque les pays déclarent leurs émissions et fixent des objectifs au niveau national et international. C’est le cas de l’Accord de Paris, mais aussi de la loi sur le CO2 sur laquelle le peuple est appelé à se prononcer le 13 juin.
Ainsi, si la Suisse importe des ordinateurs de Chine, le CO2 pour produire ces produits est comptabilisé sur le compte de la Chine dans le calcul territorial. Cette méthode de calcul bénéficie ainsi aux pays comme la Suisse dont l’économie est largement basée sur les services et les produits à haute valeur ajoutée.
Les émissions dites «grises» se basent quant à elles sur la consommation de biens et services importés depuis l’étranger. Pour calculer ces émissions, il faut tenir compte du commerce international. Chaque fois qu’un bien est importé en Suisse, on inclut les émissions de CO2 émises à l’étranger pour sa production, et inversement, on soustrait les émissions de CO2 émises dans la production de biens exportés.
L’«empreinte carbone» – ou les «émissions de consommation» – d’un pays englobe les émissions territoriales et grises.
Petit pays, gros émetteur
Si la Suisse est un petit État, ses habitants figurent parmi les plus grands émetteurs de CO2 à l’échelle mondiale.
La Suisse se place 15e sur un total de 221 pays. En excluant les micro-États et en considérant uniquement les pays de plus de 8 millions d’habitants, la Suisse se hisse à la 7e place sur 78 pays. Ces chiffres prennent en compte les émissions domestiques et grises, soit les gaz émis à l’étranger pour produire les biens et services importés en Suisse.
De fait, un Suisse émet en moyenne 14 tonnes de CO2 par an, soit plus du double de nos voisins français, et près du triple de la moyenne mondiale de 4,8 tonnes par habitant.
L’empreinte de la Suisse à l’étranger
L’émission carbone suisse ne se cantonne pas aux frontières helvétiques. Comme le souligne le professeur en durabilité Augustin Fragnière (UNIL) sur son blog, «la Suisse externalise dans d’autres pays une très grande partie des émissions nécessaires à la fabrication de ses biens de consommation».
Si l’on tient compte des gaz à effet de serre émis à l’étranger pour des biens et services destinés à la Suisse, l’empreinte nationale s’élève à 113,8 millions de tonnes d’équivalents CO2 en 2018. En outre, comme l’indique un rapport de l’OFS, plus de 60% des émissions de gaz à effet de serre suisses sont générées à l’étranger.
Selon Dina Spörri, experte en politique climatique internationale, «si l’on tient compte des émissions grises importées qui résultent de la production de biens à l’étranger, ainsi que des effets des investissements réalisés par le marché financier suisse, nous sommes le sixième émetteur mondial.»
Hausse de 44% des émissions à l’étranger
Comme l’indique Augustin Fragnière en se basant sur une étude de CarbonBrief de 2017:
«La réduction de 11% des émissions territoriales de la Suisse depuis 1990 cachait en fait une augmentation de 44% si l’on prend en compte le CO2 importé!»
«La Suisse délocalise donc massivement son empreinte climatique à l’étranger», conclut le spécialiste. Le rapport de l’OFS démontre également que les émissions grises de la Suisse sont en hausse.
D’ici à 2030, la Suisse s’est engagée à réduire de moitié ses émissions de CO2 par rapport à 1990 et elle vise désormais la neutralité carbone d’ici à 2050. L’Accord de Paris, ratifié en 2015, vise à limiter le réchauffement de l’atmosphère terrestre à nettement moins de 2 °C, et si possible à 1,5 °C. Les températures en Suisse ont déjà augmenté d’environ 2 °C depuis l’ère pré-industrielle, soit plus du double de l’augmentation de la température moyenne mondiale.
Rendez-vous aux urnes le 13 juin prochain.
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours «Journalisme de données» dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.
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