Les artistes sortent le public de son fauteuil
En rupture avec le dispositif frontal scène-salle ou avec le déroulé habituel de la représentation, une série de créations s'amusent avec leurs spectateurs.

Assis, couché, debout. Sur le plateau, hors-les-murs, en stabulation ou en immersion, le public d'aujourd'hui est souvent poussé hors de son fauteuil. Depuis que la performance a libéré les arts vivants des lieux institutionnels dévolus aux représentations, depuis que la danse s'est affirmée comme un véritable terrain d'expérimentations, depuis, surtout, que le théâtre du XXe siècle a cherché à renouveler sa fonction autant que son rapport avec le public, les artistes n'ont de cesse de questionner la place dévolue au spectateur. Et se plaisent à rompre avec le dispositif traditionnel qui oppose la salle à la scène pour proposer des expériences performatives originales. Avec toujours les mêmes motivations? Au risque de s'inventer des contraintes? Petit tour d'horizon, à l'occasion d'une série de propositions chorégraphiques mais aussi théâtrales plus ou moins audacieuses, à l'affiche ce mois de mars.
«Imaginer un dispositif particulier permet de se démarquer dans une offre pléthorique et le risque, parfois, est de chercher à créer un buzz vide de sens, observe Philippe Saire, mais quand cela pose de bonnes questions esthétiques ou artistiques, le résultat est passionnant.» C'est le directeur des Printemps de Sévelin qui parle. Le chorégraphe aussi, qui depuis quelques années se plaît à varier les cadres. Après avoir imaginé, par exemple, une pièce jouée dans une fosse, il a créé Cut, un spectacle «borgne» qui se découvre deux fois à la suite, d'abord d'un côté puis de l'autre, pour pouvoir se comprendre dans son ensemble. Le dispositif reste frontal mais il est éclaté dans sa temporalité. «C'est au spectateur d'assembler le puzzle, de faire fonctionner sa mémoire, de sortir de sa passivité.»
Interroger le point de vue Avec son hypnotisant et très réussi Mire, Jasmine Morand interroge, elle aussi, le point de vue. Avec une envie profonde de renouvellement de sa pratique. Dans une boîte percée de fentes mais également surplombée d'un grand miroir, douze danseurs nus créent des figures géométriques. Le public peut choisir d'être couché pour contempler le reflet ou de bouger et lorgner. «Artistiquement, cette réflexion sur la mise en espace de mon travail m'a permis de revivifier le mouvement, de lui redonner une motivation et de l'amener vers quelque chose de plus essentiel», confie la Veveysanne.
Du côté de l'Arsenic, deux créations poussent encore plus loin la rupture avec la tradition qui, au XVIIIe siècle, a figé l'audience dans le silence et dans le noir: l'installation-performance Etudes hérétiques 1-7, d'Antonija Livingstone et Nadia Lauro, ainsi que l'installation chorégraphique Kaléos, de Corinne Rochet et Nicholas Pettit, invitent le spectateur à se poser où il veut sur le plateau, dans une proximité totale avec les artistes. Dans le but affiché d'entraîner une interactivité ou de remettre en cause la notion même de spectacle pour la première, qui se joue en partie portes ouvertes (et autorise une fuite si le plaisir n'est pas au rendez-vous); avec l'envie de réfléchir à une atmosphère immersive pour la seconde. «Au final, personne ne voit le même spectacle et ne vit la même expérience, remarque la chorégraphe Corinne Rochet. Cela nous a clairement forcés à pousser notre idée vers une infinité de combinaisons et à réfléchir notre création sous toutes ses faces et tous ses angles de vue.»
Un public autonome
«Au cœur des approches contemporaines des arts scéniques, il y a l'idée que le spectateur et son regard sont au centre des préoccupations et intégrés dans la conception même de la représentation», résume Delphine Abrecht, doctorante qui prépare une thèse autour du rapport au spectateur à l'Université de Lausanne. «Dans ce sens, la subversion du dispositif frontal entraîne une rupture de la primauté de la scène sur la salle. Mais aujourd'hui, et contrairement à ce que l'on pouvait voir dans les années 1960, par exemple, les créateurs pervertissent moins le dispositif frontal pour des raisons idéologiques ou subversives que pour laisser une certaine liberté de regard au spectateur, dans l'idée d'une coexistence, d'une coparticipation.»
L'immersion confère clairement une autonomie au public, permettant également une plus grande interaction entre les individus confrontés, dès lors, les uns aux autres. «En tant que spectatrice, je vois ce monsieur qui s'ennuie, cette fille qui sourit, cette personne qui regarde autre chose que moi. Les réactions de chacun contribuent aux miennes.» Et le pouvoir d'influence ne se joue, ainsi, plus seulement dans le camp des artistes ou celui du spectacle qui délivre son message.
Poussant cette idée à son paroxysme, le collectif Rimini Protokoll révolutionne, depuis une quinzaine d'années, le théâtre documentaire et interactif en s'invitant carrément chez les gens. Ou en interrogeant nos réalités sociales et politiques avec des spectacles captivants comme Nachlass , installation scénique imaginée par Stefan Kaegi et Dominic Huber et qui propose au spectateur de déambuler dans un «espace narratif» mais sans aucun comédien.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.