Au milieu des années 1970, pendant mon dernier cours de répétition dans les forts de Saint-Maurice, ma troupe eut la chance de visiter les deux tourelles de 15 (donc tirant des obus de 15 cm de diamètre) qui venaient d’être achevées à grands frais et qui reléguaient au musée nos bons vieux canons de 10,5. Un officier nous expliqua fièrement que ces engins ultramodernes pouvaient tirer trente obus par minute, jusqu’au col du Grand-Saint-Bernard, à plus de quarante kilomètres.
Quelques années plus tard, ces magnifiques tourelles furent discrètement démantelées: avec l’avènement de nouvelles fusées à tête chercheuse, leurs énormes dômes d’acier étaient devenus des cibles idéales, voués à une destruction immédiate en cas de conflit, avant d’avoir pu tirer un seul coup!
«Les armes les plus sophistiquées sont souvent extrêmement vulnérables – donc inutiles.»
Il faut se rendre à l’évidence: les armes les plus sophistiquées sont souvent extrêmement vulnérables – donc inutiles. Les avions F-35 que la Suisse a l’intention d’acheter aux USA en sont un bon exemple. En cas de guerre, la première action de l’assaillant, l’une des plus aisées aussi, serait de démolir les pistes des quelques aérodromes suisses capables d’accueillir ces coûteux bijoux: ceux-ci seraient alors définitivement cloués au sol. C’est ce qui est arrivé en Ukraine, au premier jour de l’invasion russe.
Si aucun avion ukrainien n’a pu participer à la défense de son territoire, d’autres armes bien moins coûteuses ont pris la relève. Des lance-roquettes et lance-missiles portables ou fixés à un véhicule se sont montrés redoutablement efficaces contre les tanks, les hélicoptères et d’autres cibles, et même, très vraisemblablement, contre le croiseur amiral Moskva, plus vulnérable, avec son énorme masse métallique, que nos défuntes tourelles de 15.
Si la Suisse se procurait quelques centaines de propulseurs sol-sol et sol-air mi-lourds (donc portés par camions), complétés par de nombreux lanceurs légers du type Javelin qu’un ou deux hommes peuvent transporter et manœuvrer, elle disposerait d’un arsenal défensif mobile, presque indétectable, beaucoup plus économique et plus efficace que deux ou trois dizaines d’avions high-tech condamnés à rouiller au bord d’aérodromes impraticables.
Pour quelles cibles?
Les armes du pauvre peuvent être plus puissantes que les impressionnants chasseurs bombardiers F-35 dont rêve une partie de notre état-major et de notre classe politique (chose surprenante, ces avions sont plus bombardiers que chasseurs; mais sur quelles cibles et sur quels pays notre armée strictement défensive envisage-t-elle de lancer des bombes?).
On l’aura compris: l’auteur de ces lignes n’est pas un ennemi de l’armée suisse. Il souhaite seulement qu’elle soit efficace et économique. Le peuple sera certainement appelé à voter sur l’achat des F-35 (on peut encore signer l’initiative). Il est permis d’espérer qu’il sera plus circonspect que la cheffe du Département militaire et ses conseillers.
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L’invité – Les avions de combat F-35 en retard d’une guerre
Philippe de Vargas plaide en faveur d’un système de défense mobile plus efficace et moins coûteux que les jets américains.