Procès à GenèveTariq Ramadan: «Je suis devenu l’ennemi public numéro 1»
Ce mercredi, les pénalistes des deux parties ont livré leurs plaidoiries. Tariq Ramadan s’est exprimé en dernier avant la clôture de l’audience de jugement. Verdict ce mercredi.

«Je vous demande un courage: celui d’oublier que je m’appelle Tariq Ramadan et de me traiter comme si j’étais Monsieur X. Soit sans aucun privilège mais avec la fraternité humaine, comme votre concitoyen. Je suis innocent.» C’est en ces termes que Tariq Ramadan, jugé pour viol et contrainte sexuelle, a clôturé son procès ce mercredi soir devant le Tribunal correctionnel.
Les avocats de Brigitte*, la plaignante, ont eu la parole dans la matinée à l’occasion du dernier jour de procès de Tariq Ramadan à Genève. Me Robert Assaël ouvre les feux peu après 9 h. L’islamologue, accusé de viol, le fixe du regard. L’avocat qualifie le combat de sa cliente comme celui «de David contre Goliath, celui de la vérité contre le mensonge».
Il lit la description des faits de sa mandante (lire plus bas). Avec force détails: «Peut-on inventer un pareil récit? Elle est incapable de tricher, de mentir. En larmes parfois durant ses témoignages, elle n’en rajoute jamais.» Le pénaliste salue les femmes qui osent dénoncer malgré l’épreuve que constitue une procédure.
Domination intellectuelle
«L’accusé a fait de la domination. Même lundi lors de son audition, il nous reprenait comme pour dominer par son intelligence. […] Donnant des leçons à tout le monde.» Sa cliente est-elle simplement une femme éconduite qui se venge? Qui veut punir Tariq Ramadan? «Ridicule, poursuit l’avocat. Elle n’avait rien à faire de la vie privée de l’accusé. […] Un homme aux deux visages.»
«Le psychiatre assure que la plaignante était crédible et présentait un état de stress post-traumatique.»
En 2017, quand elle va consulter un psychiatre, ce n’est même pas pour aller porter plainte contre Ramadan: «Elle a consulté pour un deuil. Mais les faits de 2008 sont ressortis.» Me Assaël relit les passages du médecin. Le psychiatre, «malmené par mes confrères de la défense», assure que la plaignante était crédible et présentait un état de stress post-traumatique.
«Une nuit terrible»
Le recours de la partie adverse à une expertise «unilatérale» confiée au professeur Giannakopoulos est également critiqué par l’avocat de Brigitte. Un document forcément orienté, aux yeux de la partie plaignante. Le pénaliste revient sur le caractère pudique et introverti de sa mandante. «Même à la police, elle parle de nuit terrible sans oser prononcer le mot viol.» Un mot qui provoque des sanglots à chaque fois qu’on lui demande de le prononcer en audience. Un signal de son traumatisme, selon l’avocat: «M. Ramadan est le violeur décrit dans l’acte d’accusation.»

Pourquoi a-t-elle envoyé des messages parfois à connotation amoureuse après les faits: «Elle était sous emprise. Elle ne voulait pas porter plainte. Elle voulait comprendre, de manière frénétique, comment Tariq Ramadan a pu virer à ce point et devenir monstrueux. Elle voulait des excuses. Dans un message, elle lui a dit qu’elle voulait l’embrasser parce que d’un côté elle l’admirait. Elle était aussi sous le choc. Tout en cherchant à faire la paix. Elle n’était plus dans son corps. Elle se disait aussi qu’il valait mieux l’avoir comme ami que comme ennemi.»
«Qu’a-t-elle gagné? Rien!»
Pour l’avocat, «si elle avait été blessée au motif qu’elle aurait été éconduite», elle aurait porté plainte tout de suite. «Ma cliente est une femme fragilisée que la vie a malmenée. Comme les plaignantes françaises d’ailleurs.»
Me Assaël dénonce le langage «vulgaire, dominant et méprisant» que l’accusé aurait adopté envers plusieurs femmes dont Brigitte: «C’est un homme qui vire complètement, perd le contrôle et devient ainsi l’agresseur sexuel de ma mandante.»
«La Nuit des Molières»
Pourquoi déposerait-elle une plainte mensongère dix ans après les faits, tonne l’avocat. «Elle se serait imposée huit mois de thérapie pour cela? Elle aurait feint les symptômes? Avec de telles facultés, elle aurait pu postuler à la Nuit des Molières. Si elle avait voulu porter plainte d’emblée, elle n’aurait pas lavé ses habits.»
La crédibilité de Brigitte est totale, ajoute Me Assaël: «Elle n’a aucun intérêt à mentir. Qu’a-t-elle gagné? Rien! Elle a tout perdu. Des auditions fleuves, se faire traiter de menteuse des dizaines de fois. Sa probité a été écrasée. Sa vie a été exposée et explosée. La pire période de sa vie. Sa famille a été menacée.» Il soupire avant de clore sa plaidoirie en saluant le courage, la résilience et l’authenticité de sa cliente: «Qu’est-ce qu’il est difficile de dire les choses, de dénoncer.»
Me Catalina De La Sota reprend le flambeau de son confrère peu après 11 h et déplore que Tariq Ramadan inverse les rôles en répétant en audience des «Pourquoi ment-elle?»: «Il décrit notre mandante comme très entreprenante alors qu’elle avait ses règles le soir des faits. Il prétend en plus qu’à un moment donné dans la chambre d’hôtel, elle se rend dans la salle de bains et qu’elle ressort en nuisette. Elle n’avait pas pris d’affaires avec elle et n’avait pas de nuisette.»
L’avocate s’étonne des témoins «sortis in extremis» par la défense. «N., un homme qui a fait un aller-retour depuis le Sénégal en septembre 2022 pour prétendre que la plaignante avait dit avoir eu une relation sexuelle consentie avec Tariq Ramadan. Et que dire de Dieudonné qui a interrompu sa tournée pour venir déclarer mardi qu’il croyait en l’innocence de Tariq Ramadan?»
«Ici, nous sommes au-delà du viol, pour Me Zimeray, il y a eu de la torture et de la barbarie.» Le pénaliste français décrit Brigitte comme «une femme cultivée, endurante, mature et qui a élevé cinq enfants, dont une fille handicapée». Quid de son sentiment de culpabilité, de honte ressenti après les faits. «Elle avait un attachement pathologique à son agresseur. Elle veut sauver sa peau en lui disant qu’elle l’aime.»
La plaignante encore aujourd’hui vit dans la peur: «Chaque matin, elle se lève et regarde sur Twitter si elle a reçu de nouvelles menaces. Comme celle où on voit une photo d’elle à côté de celle de Samuel Paty, l’enseignant français qui a été égorgé. Ou des phrases comme: tes enfants doivent faire attention en traversant la route.»
«Sa vérité vécue»
L’avocat réfute la thèse du traquenard «dénoncé par la défense»: «Pour que ce coup soit monté, il faut que ce soit inventé. Alors ça voudrait dire que les plaignantes françaises et notre mandante ont inventé tout cela? Pourquoi? Dans un dessein idéologique? Ces femmes (ndlr: les plaignantes françaises et Brigitte) auraient tout inventé et s’infligent l’épreuve d’une procédure en portant atteinte à leur sérénité et à leur sécurité. Chez notre mandante, il y a une absence totale de calcul. Elle a porté plainte, elle a tout donné aux enquêteurs. Elle vient avec sa vérité vécue.»
Cette nuit du 28 octobre 2008 ne s’est pas terminée, ajoute Me Zimeray en regardant les membres du Tribunal: «Votre jugement sera peut-être l’aube d’un jour nouveau.»
L’avocat se tourne un bref instant vers Brigitte: «Notre mandante est atteinte. Elle est droite et digne et son combat est admirable. Elle a été persécutée durant quinze ans. Elle mène ce combat sans se victimiser. Elle a assez vécu pour savoir ce qui différencie la justice de la vengeance.» Et de conclure en citant Jaurès: «Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire.»
Le procès de MeToo
À 14 h, place à la défense. Me Yaël Hayat tient à rappeler le contexte de cette plainte en avril 2018: «À l’époque, le mouvement MeToo invite les femmes à balancer leurs porcs, petits et grands. Ce féminisme victimaire défie l’État de droit et s’infiltre dans nos prétoires et nous n’en sommes pas sortis. La parole doit être mise en doute par des juges. Il faut toujours douter.»
En s’adressant à son client, la pénaliste scande: «Je vous crois!» Me Hayat, dénonçant l’hystérie collective des plaignantes, critique le mot «emprise», «une sorte d’opium censé nous endormir». «Ces femmes éconduites apprenant qu’il a eu des maîtresses veulent donner une leçon ensemble à Tariq Ramadan. C’est dans ce contexte qu’elles rencontrent la plaignante suisse. Le lien va être fécond. Une alliance implacable. La journaliste française Caroline Fourest les accueille et les conseille sur leurs blogs à l’époque car elle combat l’islamologue. C’est un processus de mise à mort. Tout le monde s’emballe.»
«Elle s’est sentie repoussée»
Dans chaque affaire de viol, la difficulté, c’est la preuve, relève Me Hayat qui dénonce l’absence d’éléments probants: «On aurait pu s’attendre à des constats médicaux de violences gynécologiques, à des traces de sperme et de sang sur un habit ou sur des mèches de cheveux et à des témoins. Mais dans cette affaire, il n’y a ni témoignage, ni preuve. Il n’y a que des écrits (ndlr: les messages).» Pas de quoi fonder une accusation aux yeux de la défense.
«La tentatrice par excellence»
Messages de la plaignante à l’appui, l’avocate déclare que c’est Brigitte qui se montre entreprenante avec lui l’automne 2008. «Elle se révèle peu à peu taquine et audacieuse. C’est la tentatrice par excellence. C’est dans ce cadre qu’il lui propose un café. Elle lui donne son portable. On est plus proche des échanges libertins que philosophiques. Il l’appelle, elle répond et prend ses dispositions pour se rendre à Genève le 28 octobre 2008. Ils boivent un thé dans le lobby de l’hôtel durant deux heures.»
À l’époque, Tariq Ramadan se méfie, dit-elle, car il se sait surveillé (ndrl: par les renseignements généraux): «Elle n’est pas attendue chez elle, elle monte et toque à sa porte et entre dans la chambre de Tariq Ramadan. Il y a eu des baisers et des caresses. Cet instant a été interrompu par le fait que ses extensions de cheveux libèrent une odeur qui le révulse. Ces mèches (ndrl: de la plaignante) qui sentent le moisi. Et il constate aussi qu’il y a un épanchement de sang de ses règles sur la jambe.» Cet instant est humiliant pour elle, estime Me Hayat: «Elle s’est sentie repoussée car il a réagi par des mots peu agréables. Mais tout cela n’ira pas plus loin.»
«L’ancien volcan qu’on croyait trop vieux»
Le lendemain en rentrant à Nyon à 8 h 19, elle lui envoie un premier message: «Comment une personne qui dit avoir vécu ce qu’elle a vécu lui écrit alors: je rêve de t’embrasser. Le 13 novembre, elle lui dit qu’elle a la nostalgie et quelques jours après elle appelle à voir rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux.»
Selon l’avocate, la plaignante n’a pas supporté d’avoir appris une liaison entre l’accusé et une journaliste de la TSR et a donc commencé à le menacer. Et la pénaliste de conclure: «La vérité judiciaire est en marche et je vous demande de la prononcer».
Paravent pour cacher la femme éprise
Dès 16 h, Me Théo Badan prend le relais et critique également le concept d’emprise plaidé par la partie plaignante: «Il n’est pas question de cela dans l’acte d’accusation. Pas un mot», constate l’avocat qui invite le tribunal à ne pas considérer cet élément: «Cette notion d’emprise est un paravent pour cacher la femme éprise. Il n’y a pas non plus de syndrome de Stockholm. L’emprise ne doit pas être le joker judiciaire des femmes éconduites, la béquille des déçus de l’amour.»
Le dernier avocat à plaider l’acquittement est Me Guerric Canonica: «Nous aimerions amener un peu de simplicité et du bon sens populaire pour rendre justice. Vous êtes à l’aube de la prescription. Nous sommes à 15 ans du droit à l’oubli. Vous n’avez ni aveux, ni témoin direct et vous avez deux versions. La présomption d’innocence induit un exercice d’humilité: le doute. Là le doute est raisonnable.»
«On est chez les dingues»
Le pénaliste revient sur l’acte d’accusation «excessivement bref»: «Il est question du fait que l’accusé l’embrasse de force. Comment ? On l’ignore. La plaignante se débat? Comment? On ne le sait pas. S’agit-il de contrainte physique ou psychologique? Éjaculations? Sidération? Emprise? On ne le sait pas.»
Me Canonica brandit ensuite la plainte pénale et pointe les «contradictions»: «La plaignante essaie de nous faire croire qu’elle l’a rédigée? C’est faux. Cette plainte, écrite par un avocat et déposée dix ans après, ne consigne pas l’acte de viol. Et il faudrait condamner l’accusé pour trois actes de viols successif? On est chez les dingues! La plaignante est restée une nuit dans une chambre mais l’acte d’accusation ne retient pas la séquestration. Pourquoi ne quitte-t-elle pas cette chambre. Il lui suffisait de tendre la main pour s’en aller. Pourquoi ne pas crier? J’étais résignée, dit-elle avant d’ajouter plus tard: je ne sais pas. Tout cela est incohérent. Comme le fait qu’elle livre des versions différentes à ses deux thérapeutes.»
«Elle n’a rien fait de ce qu’une femme victime de viol aurait fait en matière de conservation des preuves», assure l’avocat qui met en garde les juges «contre les apparences dangereuses».
«Je veux être jugé comme un homme»
Le dernier mot revient à l’accusé: «Il y a une pression dans ce procès qui dure depuis cinq ans. Je ne veux pas que ce procès soit le faire valoir de ce qu’on veut me faire en France. La justice française a traité de haut la justice suisse. Avec irrespect et en donnant un dossier partiel, orienté. Je ne voudrais pas que le tribunal soit influencé par le bruit médiatique français. Je ne veux pas non plus être jugé sur mon idéologie réelle ou supposée. Je veux être jugé comme un homme sans confusion avec l’idéologue. Je suis devenu l’ennemi public numéro 1. Je suis un constructeur de ponts. Je suis défendu par des hommes, pas par des idéologues.»
Et Tariq Ramadan de poursuivre: «Depuis cinq ans, certains journalistes adeptes de l’assassinat médiatique veulent me tuer et me dépecer. Ce n’est pas moi qui m’exprime dans les médias, c’est les médias qui s’expriment sur moi. Quand je m’exprime, on me reproche de manipuler et si je me tais, je suis coupable.» Il regarde les juges dans les yeux: «Je vous demande de ne pas céder devant la pression médiatique.»
Le verdict sera rendu mercredi 24 mai à 11 h dans la même salle.
* Prénom d’emprunt
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