Les images sont somptueuses. Réception au Palais royal, dîner de travail au musée du Prado aux côtés des tableaux de Velázquez, photos devant l’imposant Guernica de Picasso. Rien n’a manqué au décor pour le déroulé impeccable du sommet de l’OTAN à Madrid les 29 et 30 juin.
Ces images de tapis rouge et de défilés de limousines contrastent avec d’autres images que le gouvernement de Pedro Sánchez évite de contempler ces jours-ci. Celles des violences de la gendarmerie marocaine, qui ont fait au moins 23 morts, le 24 juin dernier, en repoussant un groupe de quelque 2000 migrants africains qui tentaient de passer la frontière pour entrer dans la ville espagnole de Melilla.
«Cette brutalité met en porte-à-faux […] toute la stratégie de l’Union européenne.»
«Tout était sang, peaux arrachées, pieds cassés, mains cassées», racontent les habitants de la localité marocaine voisine de Nador, qui ont assisté à l’assaut des hautes lignes de barbelés. Les vidéos prises sur le vif montrent l’acharnement des gendarmes marocains et le sol jonché de corps de migrants dont on ne sait pas s’ils sont morts ou blessés.
Les organisations de défense des droits de l’homme réclament l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante. Techniquement, les brutalités ont eu lieu côté marocain et la responsabilité incombe au pays voisin. Mais cela impose-t-il pour autant le silence au gouvernement espagnol? Jusqu’ici, pourtant, il a choisi de faire profil bas, évitant de critiquer la brutalité des forces de sécurité marocaines, au moment où les relations bilatérales avec Rabat semblent enfin rétablies après des mois de rupture.
Interrogé par la presse, le chef de l’Exécutif, Pedro Sánchez, s’est contenté de pointer du doigt «la responsabilité des mafias qui profitent du trafic des personnes», esquissant au passage une justification de l’action des gendarmes marocains en protection de la frontière.
À Madrid, l’indignation monte parmi les alliés du gouvernement progressiste de Sánchez. Comment accepter que, tandis que dans les salons les dirigeants européens et les membres de l’OTAN réaffirmaient leur ferme soutien à Ukraine, les corps des migrants venus du sud continuent de se déchirer contre les barbelés?
Assumer les conséquences de ses choix
Cette brutalité met non seulement en porte-à-faux la diplomatie espagnole, soucieuse de ne pas fâcher l’ami marocain, mais toute la stratégie de l’Union européenne. Celle-ci a fait le choix de déléguer le contrôle de ses frontières du sud à des pays tiers servant de zone tampon, la Libye ou le Maroc, et doit en assumer les conséquences, quitte à savoir parfois fermer les yeux.
Parmi les 2000 migrants qui ont tenté le passage ce jour-là, quelque 130 ont réussi à arriver en territoire espagnol. «Ils sont pour la plupart originaires du Soudan, pays en guerre, et ils ne devraient pas avoir de difficulté à obtenir le statut de réfugié», pronostique Paloma Favieres de l’ONG espagnole Cear.
Mais personne ne peut expliquer pourquoi ils ont été obligés à passer par de telles violences pour réussir à faire valoir le droit d’asile.
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La rédaction – Les barbelés de Melilla et le silence de Madrid
La mort tragique de 23 migrants africains aux abords de l’enclave espagnole pose la question de la délégation du contrôle des frontières européennes à des pays tiers.