«Les Dames», une planète femme lumineuse
Stéphanie Chuat et Véronique Reymond documentent la réalité de ces femmes «invisibles», divorcées, veuves, célibataires qui croient encore en l'amour. Un film sensible à voir dès le 26 septembre et qui dit avant tout la force de la vie.

Quelle joie! Vraie. Fébrile. Cette soirée d'août ne résonne pas tout à fait comme d'autres soirs d'avant-première: dans quelques minutes c'est la vraie vie qui sera projetée sur grand écran à Vevey. Cinq femmes, cinq compagnonnages très différents avec la solitude amoureuse. Ce soir-là, pour les cinq protagonistes, il y a aussi un peu de cette surenchère qui ajoute encore à l'énergie collective. L'une d'elles rigole, partageant la réflexion de quelqu'un ayant déjà vu le film et qui l'a trouvée «mieux en réalité qu'à l'écran». Pendant qu'une autre se réjouit de sa dose de bonne surprise: «Je viens de voir un monsieur de mon réseau Facebook, c'est dingue!» Et une troisième de passer le contrôle des billets, très sûre d'elle: «Mais oui, je suis la dame du film, vous ne me croyez pas?»
Tout à l'ivresse des retrouvailles, ces «Dames» qui ne se connaissaient pas il y a une année encore, sont aussi dans l'attente des premiers retours du public avant la sortie en salles le 26 septembre du film de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond. Un documentaire auquel elles ont donné un peu de leur quotidien de célibataires, veuves ou divorcées, et beaucoup de leurs pensées intimes.
Le sujet est sérieux – la solitude conjuguée au féminin une fois la soixantaine passée – mais cette joie du moment présent que toutes donnent à voir avant la projection promet une immersion émouvante. Pas larmoyante! Elle prédit le règne de l'espoir et pas l'inverse, celui d'une flamme virevoltante, parfois faiblissante, mais qui refuse avant tout de s'éteindre. Alors, entre l'euphorie liée à cette nouvelle avant-première et le verdict à venir du public, un peu à l'écart, Noëlle se laisse gagner par l'inquiétude. Avec Marion, Odile, Pierrette et Carmen, elle est de ce club des cinq. «Il y a des choses qui ne sont pas faciles à dire, je l'ai fait, j'assume, on verra bien.»
Pudeur et fous rires
Une fois le générique de fin passé, elle remerciera le public d'avoir compris son aveu, aussi poignant qu'éclairant. Des doutes, des temps de pudeur, des fous rires comme des complicités qui se découvrent, on imagine sans peine un tournage ordinaire pourtant si différent des autres. À commencer par la taille d'une équipe restreinte à quatre personnes. «Soit, égrène Stéphanie Chuat, le chef opérateur Joseph Areddy qui a tissé une relation très forte avec ces dames, la preneuse de son et nous deux. Rien n'étant écrit à l'avance, on assurait la mise en place, on créait la situation avant de laisser faire la vie. Il nous est même arrivé de disparaître, cachées jusque dans les toilettes, pour ne pas risquer d'être dans le champ lorsqu'on tournait chez l'une ou l'autre des dames.»
Flexibilité de chaque instant
La souplesse! Littérale autant que gymnastique mentale propre aux réalisations en prise avec le quotidien, elle s'est faufilée dans toutes les étapes de l'aventure. De la genèse à la recherche de fonds qui a duré, un peu: «Ce n'est pas facile de convaincre, reconnaît Stéphanie Chuat, en disant qu'on veut filmer l'invisible, la solitude.» Cette flexibilité était là encore au moment de jongler avec les agendas des unes et des autres. «Comme nous souhaitions les accompagner sur le long terme dans leurs activités, nous étions en contact permanent avec elles et avons calqué les temps de tournage sur leurs plannings. Et il fallait cavaler avec l'agenda surchargé de certaines, sourit Véronique Reymond. Pour d'autres, c'était plus impressionniste, les personnalités étant très différentes.»
Singulières, aussi. Entre l'exaltée hyperactive, la volontaire très nature, la mélomane enthousiaste, la douce féministe ou encore la romantique égarée, la planète femme des deux Vaudoises tourne autour de l'axe de l'optimisme. Accueillante pour la race des battantes, elle s'est peuplée à partir d'une petite annonce, un «appel à dames» qui a suscité une vague d'intérêt en même temps que révélé un désir de parole. «Nous avons été les premières étonnées par la centaine de candidatures, note Véronique Reymond. Et si, de façon intuitive, on pensait qu'il y avait un film à faire, là on en a eu la confirmation. Après, au moment des choix, peut-être pour se rassurer sur cette étape de la vie, nous avons privilégié les femmes décidées à aller de l'avant à celles qui dégageaient quelque chose de trop triste. Puis avec Marion, Odile, Pierrette, Noëlle et Carmen, une confiance mutuelle s'est vite créée, et on a senti que quelque chose allait pouvoir se faire.»
Une longue gestation
«Les Dames», 81 minutes à l'écran, signe l'aboutissement d'une longue gestation. L'idée scellée en 2011, le financement trouvé en 2014 et 2017, le montage s'est achevé début 2018. «Un tournage ancré dans la réalité, c'est évidemment très différent d'une histoire pré-écrite dans votre tête, je vous laisse donc imaginer les heures de rush, expliquait Véronique Reymond au public veveysan. Il fallait arriver à monter quelque chose qui tienne, il fallait tisser des liens entre ces cinq trajectoires pour qu'une histoire existe. Alors ça bardait pas mal au montage, mais comme avec Stéphanie on se connaît depuis nos 10 ans et qu'on a passé l'âge des conflits, on sait aussi laisser le film nous dire ce dont il a besoin. Et finalement, aucune scène que l'une ou l'autre voulait absolument, ne manque.»
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«La magie est venue de ce que ces cinq femmes nous ont dit d'elles»
En duo derrière la caméra depuis une quinzaine d'années, Véronique Reymond et Stéphanie Chuat ont réalisé plusieurs documentaires et signé «La Petite Chambre» en 2010. Après la série «À livre ouvert» et en parallèle à la sortie de «Les Dames», elles développent une nouvelle série télé et travaillent sur leur prochain film, qui se tournera entre Berlin et les Alpes vaudoises, entre le milieu du théâtre et celui d'une école internationale.
Votre filmographie compte fictions et documentaires, pourquoi avoir choisi ce dernier format pour un sujet comme celui-ci?
Nous avions envie d'investiguer la réalité, de nous confronter au plus près de nos peurs par rapport à cette société qui se féminise passé un certain âge. Et pour y parvenir, il était impossible d'invoquer une histoire, il fallait aller voir des femmes qui vivent cette réalité au quotidien.
Vous êtes-vous imposées une certaine retenue, comment ne pas aller trop loin?
Il y a surtout cette confiance qu'elles nous ont donnée lors du tournage. Nous les avons réunies à la fin de la période de montage – puisqu'elles ne s'étaient encore jamais rencontrées – afin qu'elles puissent découvrir le film ensemble, c'était très important pour qu'on puisse encore changer quelque chose au besoin. Mais, à ce moment-là déjà, elles ont toutes dit oui au film. Elles ont assumé tout ce qu'elles nous avaient confié lors du tournage.
Quand on a un thème, mais la vraie vie comme seul script, comment gérer le différentiel entre ce qu'on a envie de dire, de traiter et ce qui se passe?
Encore une fois, la magie est venue de ce que ces cinq femmes nous ont dit d'elles. Nous, nous avions ce désir d'aborder cette tranche de la société féminine partageant ce même sentiment d'invisibilité, nous voulions aller voir comment ça se passe, comment ça se traduit et nous avons eu la surprise de l'originalité. Chacune d'elles ayant un vécu, une façon d'appréhender la vie et une personnalité singulière, le film s'est nourri au fur et à mesure du tournage de ces cinq voix de femmes très différentes.
Il y en a aussi dans le film, des moments de rire alternant avec d'autres, plus lourds, et on y voit le rôle prépondérant du montage. Comment avez-vous géré ce dosage?
C'est effectivement un travail très minutieux qui s'est fait avec notre monteuse, Karine Sudan (ndlr: Prix spécial du cinéma suisse en 2013 pour «Hiver nomade») et ce dialogue à trois était fondamental. Nous avons énormément travaillé sur la structure afin que les thèmes se répondent, permettent les passages entre une dame et une autre, et amènent à l'étape suivante de manière organique. Le tout est d'arriver à un équilibre qui crée une histoire cohérente et qui fasse un vrai film.
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