Pour lutter contre la suprématie blancheLes espaces artistiques sommés de montrer patte noire
Envoyée par un collectif d’artistes de couleur, une lettre ouverte parvenue à une cinquantaine de lieux de culture exige que leur soutien affiché après la mort de George Floyd se poursuive par un examen de conscience. Réactions.

La lettre ouverte est arrivée mercredi 10 juin chez ses destinataires. Le ton est comminatoire, l’écriture ultra- inclusive, le propos en lien avec les multiples manifestations qui ont suivi le meurtre de George Floyd par quatre policiers, le 25 mai dernier aux États Unis. Rédigée en anglais, en allemand et en français (mais pas en italien), elle émane du collectif Black Artists and Cultural Workers in Switzerland et demande à la cinquantaine d’institutions culturelles, musées et galeries d’art listées de quelle façon elles comptent agir pour «démanteler la suprématie blanche et les discriminations raciales qui régissent [leur] structure». Également posée, la question de leur «soutien actif aux artistes et aux travailleuses.x.eurs culturelles.x.els Noire.x.rs à l’avenir».
Parmi la trentaine de signataires pour une nette majorité alémaniques, quelques noms d’artistes romands émergent. Les contours de ce collectif restent flous, d’autant plus que l’unique contact indiqué sur la lettre renvoie à une adresse mail, san@antonio.net, puis à un message d’erreur de serveur. Parmi les signataires, le comédien Cédric Djédjé, diplômé de la Manufacture lausannoise, ne souhaite pas s’exprimer en son nom seul et renvoie à une nouvelle adresse électronique. Vendredi en fin de journée, aucune réponse à nos questions ne nous était parvenue.
«Suprématie blanche»
Quelles questions? Sur les termes utilisés, par exemple. Les signataires convoquent la notion de «suprématie blanche» pour désigner le système de valeurs oppressif des sociétés occidentales: une notion pour le moins polémique qui essentialise la supériorité d’un groupe ethnique sur un autre et compose traditionnellement le manifeste des extrémismes de droite américains. La lettre dénonce également un «racisme structurel» dont «l’étendue et l’ampleur semblent n’avoir aucune limite dans nos sociétés, qu’il s’agisse des forces de police ou des musées d’art». Accolés aux forces de l’ordre, ces derniers sont ainsi tenus de «prendre leurs responsabilités», d’autoévaluer leur antiracisme et de le rendre public à l’aide d’une série de questions interrogeant la place des artistes noirs exposés, ainsi que le nombre de personnes noires employées. Parmi les institutions concernées: le Centre culturel suisse à Paris, Art Basel, Mamco, HEAD Genève, etc. Toutes ont participé au deuil mondial après la mort de Floyd, via l’ajout d’un carré noir sur leur site web.
Deux sont interpellées dans le canton: la résidence de La Becque, à La Tour-de-Peilz, et la galerie Fabienne Lévy, à Lausanne. Chez la première, le responsable, Luc Meier, trouve justifié de relancer les institutions qui ont affiché leur soutien, précisant que les politiques inclusives sont déjà pratiquées à La Becque. «Cependant nous ne passerons en aucun cas par des quotas ou autres formes de représentation symbolique (tokenism) qui desserviraient les artistes concernés. Nous jugeons sur la qualité des projets proposés, et sur ce critère seulement. Ce que nous devons faire en amont, en revanche, c’est optimiser nos réseaux pour nous assurer que la plus grande diversité d’artistes ait la possibilité de nous présenter leur travail.»
Un mouvement opportuniste?
Fabienne Lévy, elle, tique sur l’opportunisme d’un mouvement global qui passe d’une cause à une autre. «Tout le monde voulait plus d'artistes femmes après Weinstein et #Metoo. Aujourd’hui, c’est la cause noire avec George Floyd. Je pense que les galeries n’ont pas attendu ces événements pour lutter contre le racisme – mais toutes les formes de racisme, également antisémites, antimusulmans, etc. Les termes contenus dans la lettre sont virulents pour faire effet, c’est normal. Mais je ne changerai pas ma ligne: un artiste n’a ni couleur ni race. Sa qualité reflète son talent et non pas son genre ou son identité.»
Contre le «camp contre camp» implicitement contenu dans la missive, le galeriste neuchâtelois Christian Egger, également interpellé, invoque «l’humain au sens large plutôt que les frontières. On ne peut pas imposer de quotas sur le plan artistique. Je fais en sorte d’avoir une bonne balance dans ce que j’expose concernant les femmes, les personnes de couleur, les minorités. Je ne crois pas vivre dans une société d’intolérance: en tant qu’homosexuel, j’ai toujours pensé avoir beaucoup de chance d’être en Suisse. Et quand j’ai présenté l’artiste camerounais Barthélémy Toguo dans l’exposition qui vient de s’achever, c’était pour la qualité de son travail, pas parce qu’il est Noir. Tout comme je n’ai pas titré cette exposition «MASK» à cause du Covid!»
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