Musique classique en petit comitéLes Folles Journées Bach sauvent la fin de saison
La série de concerts au temple de Lutry du 25 au 30 mai s’ouvre sur un hommage à Christiane Jaccottet.

Après bien des déboires, la saison interrompue des Concerts Bach de Lutry se terminera malgré tout en beauté, à l’enseigne des «Folles Journées Bach de Lutry». Cette série qui récupère en partie certains concerts annulés plus tôt dans l’année se déroulera du 25 au 30 mai dans un temple limité à 50 personnes – mais plusieurs rendez-vous sont dédoublés (lire encadré). La ténacité de Bernadette Elöd, directrice artistique, pour maintenir coûte que coûte de la musique ancienne vivante ne date pas d’hier. Elle est ancrée à Lutry depuis plus de soixante ans et l’hommage à Christiane Jaccottet proposé en ouverture de festival est là pour rappeler cette histoire, dans ce lieu où la claveciniste vaudoise a joué si souvent.
C’est un instrument qui continue d’interroger les pavillons auditifs et les iris du grand public du XXIe siècle. Ses formes étroites et anguleuses? Les inconditionnels vous le diront eux aussi, sourire en coin: elles rappellent forcément celles d’un cercueil, surtout lorsqu’elles ne sont pas enluminées par de la peinture décorative. Quant à ses sonorités aiguës, elles se déploient de manière étrangement étincelante et rendent leur domestication compliquée, du moins pour les oreilles peu averties. Cela fait-il pour autant du clavecin un objet mal aimé? Loin s’en faut. Longtemps délaissé après avoir été omniprésent dans la création musicale de la période baroque, durablement honni aussi pour avoir incarné à sa façon l’expression d’un élitisme aristocratique tombé en disgrâce après la Révolution française, l’instrument a retrouvé progressivement les lettres d’une noblesse perdue.
Pionnière du baroque
Cette renaissance, on la doit à des pionniers qui, dans les années 60 déjà, se sont mués en limiers et ont fouillé dans des archives poussiéreuses pour redécouvrir un répertoire tombé dans l’oubli. Gustav Leonhardt fut en cela un maître sans égal. Et sous nos latitudes? Une grande figure se détache avec force: celle de Christiane Jaccottet, musicienne qui sut s’imposer sur la scène internationale, mais aussi pédagogue qui attira au Conservatoire de Genève des étudiants du monde entier. Pour mesurer l’importance de cette artiste disparue en 1999, rien de mieux que de suivre l’hommage que lui rend l’ensemble L’Estro Armonico, de la Haute École de musique de Genève. Ce jeune orchestre baroque accompagnera mardi au temple de Lutry quelques-uns des anciens élèves de Jaccottet. À savoir Jovanka Marville, Béatrice Martin, Giorgio Tabacco.
Un art musical, entièrement consacré à Bach, se déploiera alors. Et un legs artistique prendra forme. En quoi consiste précisément cet héritage? Et pourquoi l’action de Christiane Jaccottet continue-t-elle de rayonner aujourd’hui encore? Lorsqu’on pose la question à deux musiciens – Simone Wavre et Guy Wachsmuth – qui en ont suivi les enseignements, on assiste à une scène qui vaut mille commentaires: chacun ajoute avec empressement sa petite pierre à l’édifice de la commémoration et du souvenir, le verbe très alerte coupant parfois le propos du voisin.
«Ce qui d’entrée m’a marquée chez elle a été sa grande qualité d’écoute, raconte Simone Wavre. J’ai intégré sa classe en 1970 à Lausanne, puis je l’ai suivie plus tard lorsqu’elle s’est transférée à Genève. Avec les jeunes étudiants que nous étions alors, elle prenait le temps de nous laisser jouer, avec un grand respect pour ce qui était proposé. Par la suite, elle laissait le silence s’installer, parfois longuement. Cela pouvait être intimidant, mais au final, il y avait toujours un mot qui vous aidait à progresser, à aller plus loin encore dans l’étude.» L’écoute patiente et empathique donc.
«Il faut se rendre compte que, à ses débuts, Christiane Jaccottet était une des rares musiciennes à avoir décidé de consacrer toute sa carrière au clavecin.»
«Il faut se rendre compte que, à ses débuts, Christiane Jaccottet était une des rares musiciennes à avoir décidé de consacrer toute sa carrière au clavecin, ajoute Guy Wachsmuth. Ce n’était pas une pianiste qui se frottait à temps perdu à cet autre instrument, comme tant d’autres à l’époque.» Son immersion fut alors totale. La musicienne parvenait à faire chanter des claviers comme peu d’autres; elle s’éloignait ainsi de ce jeu mécanique qu’on entendait si souvent à son époque. Et elle n’hésitait pas, entre deux séances de travail, à faire dans l’artisanat, à poser ses mains dans les mécaniques délicates du clavecin, à limer par exemple tel bec qui ne pinçait pas assez bien les cordes.
Un art de vivre
Et puis il y a eu, sur le front de la discographie, ses interprétations du vaste corpus de Bach, qui marquent aujourd’hui encore les esprits. «Je conserve chez moi un album dédié au Cantor, nous confie la violoniste Florence Malgoire, qui dirigera le concert de mardi. Je le trouve toujours sublime! Je ne l’ai pas connue de son vivant, elle est décédée une année avant que je n’arrive à Genève, mais aujourd’hui, lorsqu’on parle d’elle avec des musiciens qui l’ont côtoyée, les regards pétillent.» Guy Wachsmuth est de ceux-là et depuis longtemps le clavecin n’est plus un simple instrument à ses yeux, «c’est un art de vivre».
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