Exotisme vaudois (14/41)Les géants du Nord vaudois vous attendent à l’ombre de leurs branches
Du tilleul de Fiez au sapin gogant de Romairon, on part à la rencontre des arbres remarquables de la région avec une experte en sylviculture.

Avec son prénom forestier et son patronyme qui souffle comme un vent d’ici, Sylvaine Jorand était prédestinée à passer sa vie dans le bruissement des branches. Cette garde forestière, présidente de la Société vaudoise de sylviculture, a accepté de partir avec nous à la rencontre de certains des plus beaux spécimens du Nord vaudois, sa région.

Par une matinée de juillet, on commence notre petit périple à Fiez, devant le superbe tilleul qui jouxte le temple. Planté en 1532, avec son double tronc immense et tortueux, sa couronne vaste comme un ciel vert, cet arbre-là est de ceux qui font rêver d’un autre rapport au temps et à l’espace. En 1972, un tiers de sa masse s’était effondré. Le feuillu a continué à vivre et se développer, une partie de ses entrailles à l’air. «Sans l’aide de l’homme, il ne serait plus ici sous cette forme», note Sylvaine Jorand en pointant les câbles qui retiennent les plus grosses branches.

Au XIXe siècle déjà, les habitants de Fiez s’étaient battus afin que le tilleul ne soit pas abattu pour faire place à l’agrandissement du cimetière. La garde forestière sort sa chevillère pour mesurer la circonférence du tronc du survivant. Avec ses 8,8 m de pourtour, ce spécimen hors norme trouvera sa place dans le nouvel inventaire des arbres remarquables que la Société vaudoise de sylviculture a commencé à dresser (lire encadré). «Un des critères est l’intérêt écologique de l’espèce. Dans ce domaine, le tilleul excelle, 2e seulement derrière le chêne. Regardez, on voit pousser ici du lierre, des mousses et des lichens, des petits sorbiers des oiseleurs… Il accueille aussi de nombreux insectes et ces trous pourraient bien abriter des mésanges, des pics…»

Notre habitante d’Yvonand est aussi sensible à la symbolique. «On dit que le tilleul est l’arbre de l’amour, de l’union. C’est pour ça qu’il a souvent été planté près des églises.» La forme si spécifique de ses feuilles, aux deux lobes arrondis échancrés, serait d’ailleurs à l’origine du symbole du cœur tel que nous le dessinons aujourd’hui.
En chemin vers notre prochaine étape, sur des routes s’élevant dans les bois et les campagnes, on se régale de vues superbes sur le lac de Neuchâtel et toute la région. On fait une halte pour contempler un groupe de Douglas, plantés en forêt, leurs cimes dépassant d’une dizaine de mètres ceux des sapins voisins, avant de s’arrêter dans un pâturage des hauts de Provence, au lieu-dit Ancienne-Porrettaz, pour visiter une curiosité: un peu partout surgissent du sol des bosquets de hêtres. Les arbres sont disposés en cercle, leurs couronnes se rejoignant, de sorte à ce que de loin, ils ne semblent former qu’un seul et même arbre, aux airs de champignon géant. Des gens passant en voiture s’arrêtent pour photographier le spectacle.

Joint au téléphone, le garde forestier de la région, Christoph Junod ne peut qu’avancer une théorie sur ce phénomène mystérieux: «Ces pâturages devaient être autrefois des prés de fauche. Lorsqu’ils montaient faucher, les gens laissaient probablement se développer de jeunes arbres aux endroits où se trouvaient des rochers affleurant ou un tas de branches, c’est là que les hêtres seraient apparus. Le hêtre colonise l’espace, prend la lumière, se referme comme ça, rendant très difficile le développement d’autres espèces.»
Un sapin cathédrale
Notre étape suivante est un arbre bien connu de la région. Un sapin blanc aux allures d’invraisemblable cathédrale gothique se dressant à Romairon, commune de Tévenon. «C’est un sapin gogant, qui a développé plusieurs pointes, explique Sylvaine Jorand. C’est un phénomène rare; on peut supposer qu’à un moment la cime s’est cassée, et que plusieurs grosses branches se sont battues pour prendre le dessus.» Malmené par l’ouragan Lothar en 1999, colonisé par de gros champignons, l’arbre, dont on estime l’âge à 450 ans, inspire le respect.

Pour l’admirer, il faut traverser les pâturages du chalet de la Ronde Noire. La bergère, Camille Erbetta, rappelle que la buvette n’est pas ouverte l’été et invite les curieux à se parquer au bord de la route, pas à emprunter son chemin. Si, en revanche, vous souhaitez venir visiter le chalet, qui borde la piste de ski de fond, pendant sa période d’ouverture, dès le 15 octobre, elle se fera un plaisir de vous accueillir. Semblant elle aussi posséder un rapport riche aux arbres, elle ajoute: «C’est sûr qu’il est beau ce sapin. Mais il y a plein d’autres arbres magnifiques dans la forêt. J’invite tout le monde à trouver le sien…»
Le sentier des géants
En route vers la plaine, on s’arrête à Baulmes, une commune très liée à la sylviculture, puisqu’elle a reçu en 2015 le Prix Binding pour la forêt, une distinction nationale pour gestion exemplaire. Si les mésaventures de son ancien sapin président, vandalisé, avaient défrayé la chronique ces dernières années, son successeur vit actuellement au cœur d’un joli petit espace forestier baptisé Sentier des géants. On y trouve plusieurs spécimens marquants, accompagnés d’indications. Le maître des lieux culmine en majesté à 48,8 mètres, un panneau de bois documentant les différents paramètres de son développement depuis les années 1960.

Une dernière halte nous mènera à Champvent, devant un magnifique chêne, à la lisière du bois de l’Étang. «Ça n’est ni le plus vieux ni le plus gros du canton, évoque Sylvaine Jorand. Mais il est très particulier, avec ses branches immenses. Ici tout le monde le connaît.»
Des bancs et un gril bien usités témoignent de l’amour des habitants pour le lieu. Avec sa silhouette si particulière, on imagine le chêne prendre vie, comme dans les livres de Tolkien, se lever et partir rejoindre les siens dans la forêt… Pour l’heure, c’est nous qui devons lever le camp et lui dire adieu. Avec l’envie de revenir le voir souvent, lui et les autres.

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