Prix plafonnés, assurances maritimes bloquéesL’Europe lance sa guerre du pétrole contre la Russie
Embargo et sanctions visent à paralyser l’envoi d’hydrocarbures russes vers le monde entier dès lundi. Le risque? Une envolée du prix du brut.
Mise à jour du 04.12.2022, 14h20: La décision conjointe, ce dimanche, des pays de l’OPEP et de la Russie, de ne pas sabrer leurs quotas de production de pétrole a été ajoutée au 5e paragraphe.

Complexe, la nouvelle rafale de sanctions, entérinées vendredi soir, représente l’arme de destruction économique massive de l’Union européenne face à la Russie. Elle accompagnera l’embargo qui entre en vigueur ce lundi, afin de supprimer les deux tiers des achats d’hydrocarbures russes du Vieux-Continent.
Objectif, stopper la manne encaissée par le deuxième plus important producteur de pétrole du monde. Ces recettes ne cessent d’augmenter, en dépit de dix mois de guerre menée en Ukraine – elle atteignait plus de 17 milliards de dollars en octobre.
À la veille du week-end, les vingt-sept pays européens, rejoints par le reste des puissances du G7 – Japon et États-Unis en tête –, se sont entendus pour tenter de plafonner à 60 dollars le montant touché sur chaque baril quittant la Russie. Au centre de cette nouvelle offensive, des sanctions destinées à paralyser les cargaisons qui ne respecteraient pas ce seuil – quelle que soit leur destination. Afin de gripper et de renchérir tout le circuit; en imposant des interdictions et des vérifications sans fin à toute société occidentale s’occupant du transport, du paiement et surtout de l’assurance de cargaisons russes.
Pétrole au bord de la crise de nerfs
«L’embargo et l’interdiction de services maritimes vont mettre sous pression l’équilibre mondial du pétrole, en particulier celui du diesel dont la situation est extrêmement tendue», prévenait il y a déjà dix jours l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
«Guère plus bas que le prix au rabais qu’accepte déjà la Russie.»
Ces velléités de prendre le contrôle du marché de l’or noir interviennent alors que les rois du pétrole de l’OPEP, Arabie saoudite en tête, se sont réunis ce dimanche – en présence de la Russie – afin de discuter de nouvelles restrictions de leurs approvisionnements. Sans cependant prendre de décision en ce sens. Officiellement rien à voir avec l’Ukraine – l’objectif serait simplement de coller aux besoins moindres d’une planète menacée par la récession.
Impact limité
Le curseur a finalement été fixé à 60 dollars. En dépit de l’opposition d’un pays comme la Pologne, désireux d’aller beaucoup plus loin. «La limite n’est en réalité guère plus basse que le prix au rabais qu’accepte déjà la Russie pour écouler ses barils», tempère Philippe Chalmin, responsable du Cercle CyclOpe. Ce dernier est l’origine d’un guide de référence sur les matières premières depuis plus de trente ans.
«Tout le fonctionnement du marché pétrolier va être remis en question.»
Selon le «Financial Times», l’administration américaine, instigatrice de ce «plafonnement», aurait fait pression sur les responsables européens – le président Macron était jeudi à Washington – afin de ne pas bloquer l’ensemble des supertankers transportant du pétrole russe autour du globe.
«Tout le fonctionnement du marché pétrolier va être remis en question, qui sait s’il n’y aura pas deux tarifs pour le pétrole russe – un, plafonné, sur les cargaisons destinées aux pays appliquant les sanctions et un autre vers le reste du monde?» interpelle Philippe Chalmin, qui rencontrait la semaine dernière à Genève des représentants du négoce.
Le piège de l’assureur
Enjeu d’une telle interdiction imposée aux compagnies – européennes et londoniennes – qui verrouillent les services d’assurance de supertankers? Freiner la noria de navires quittant les ports russes, au risque de provoquer un nouveau choc pétrolier. «Il manque actuellement plus d’une centaine de bateaux à la Russie pour exporter normalement ses hydrocarbures», estime Philippe Chalmin.
«Des assureurs émiratis et même russes tentent de prendre le relais.»
«On va se retrouver face à un gros problème», acquiesce un professionnel présent à la rencontre. Tous les acteurs de l’assurance maritime – à commencer par Lloyd’s ou le club P&I, ce système mutualisé chargé des risques que personne ne veut couvrir –, «ne savent plus à quelle sauce ils vont être mangés dès qu’ils touchent à un navire ayant transporté du pétrole russe», note cet assureur maritime.
«Résultat, ce sont des compagnies émiraties et même russes qui tentent de prendre le relais, sans que personne ne sache vraiment sur quel marché elles se réassurent ensuite», ajoute ce dernier. Et donc sans savoir si la couverture promise tiendra réellement.
Les prix retiennent leur souffle
En ce début de semaine, tous les yeux sont tournés sur la façon dont les milieux financiers ajusteront le prix du pétrole cette semaine – une fois les sanctions européennes entrées en action.
Équations à résoudre? À partir de lundi, Moscou doit rediriger, chaque jour, 1,1 million de barils supplémentaires jusque-là destinés à l’Europe. Or si la Chine, l’Inde et la Turquie ne se montrent plus preneuses, en raison de prix devenus moins intéressants, «il faudrait que le reste du monde triple ses achats de barils russes, ce qui s’avérera impossible», prévient l’AIE.
L’enfer du diesel
Des conséquences encore plus importantes sont à attendre sur un autre embargo, celui sur les précieux carburants venant des raffineries de l’Est, qui sera mis en place le 5 février.
«La différence de prix entre le diesel et le pétrole n’a jamais été aussi haute.»
À commencer par ce diesel honni, dont dépendent encore près de 40% des voitures roulant en Europe. «Sa différence de prix avec celle du pétrole brut n’a jamais été aussi haute, avant même que l’embargo européen ne soit mis en place», prévient le responsable de la revue «CyclOpe». Il y avait déjà un déficit de gasoil au niveau mondial avant l’invasion de l’Ukraine. Et dès les premiers jours du conflit les «traders» genevois ont sonné l’alerte.
«La compétition pour obtenir du diesel, tout en faisant l’impasse sur la Russie, sera féroce pour les pays européens; ils devront surenchérir pour les cargaisons venant des raffineries américaines, moyen-orientales ou indiennes», prévient l’AIE.
Les stations-services suisses sont directement concernées. Celles du réseau Shell affichaient un prix moyen du diesel de 2 fr. 24 en octobre… soit 25% de plus que le tarif moyen affiché l’an dernier.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.