Science et spiritualitéL’expérience de mort imminente, une question sans fin
Comment expliquer les récits, troublants par leurs similarités, de ceux qui, cliniquement morts, reviennent à la vie et racontent leur périple inachevé?

Les expériences de mort imminente (EMI) résistent aux explications rationnelles. Aucune science ne parvient à élucider ce qui se passe lorsqu’une personne, déclarée cliniquement morte, est réanimée puis raconte ce qu’elle a vécu comme un périple aux confins.
Si l’énigme demeure, c’est d’abord pour une raison toute simple. Aucun «emiste» ou «expérienceur» n’a pu témoigner de ce qui se passe au bout du tunnel. Le périple reste toujours inachevé et la mise en doute inévitable: qu’est-ce qui, dans les expériences racontées, prouve que c’est vers l’au-delà qu’on cheminait? La terminologie pour qualifier le phénomène reste d’ailleurs prudente: on parle d’expérience de mort imminente ou proche de la mort (NDE, pour near-death experience en anglais).
Dans une approche scientifique, pour observer une chose et l’étudier, on a pour habitude d’élaborer une expérience reproductible. «Ce qui manque avec les EMI, c’est qu’on ne peut éthiquement pas mettre en place une expérience durant laquelle on fait presque mourir un sujet pour ensuite le faire revenir, dit Andrea Rossetti, neurologue au CHUV à Lausanne. La personne peut décéder ou son cerveau être endommagé.»

Sur le plan purement neurologique, différentes structures peuvent entrer en ligne de compte lors d’une EMI. «La sensation d’apesanteur, l’autoscopie (lorsqu’on se voit soi-même hors de son corps), la lumière, le rétrécissement du champ de vision comme dans un tunnel, tout ce qui en somme touche au repérage dans l’espace et la vision concerne la partie postérieure du cerveau, les lobes pariétaux et occipitaux, énumère Andrea Rossetti. Les émotions, le soulagement ou la paix intérieure ressentis prennent forme dans les structures limbiques, les parties ancestrales qui se trouvent dans la partie profonde du cerveau.»
L’activation électrique de certaines régions cérébrales, lors d’une diminution drastique du débit sanguin, peut produire des sensations ou des visions, comme lors d’une migraine ou d’une crise d’épilepsie. «Ceci pourrait expliquer au moins en partie le mécanisme des EMI.»
Restent les récits des expérienceurs qui, depuis plus de cinquante ans, s’accumulent et constituent un corpus de caractéristiques communes troublantes (lire l’encadré). «Il existe à présent je crois plus d’un million de témoignages de gens qui sont passés très près de la mort et racontent ce qu’ils ont traversé», souligne Jacques Besson, psychiatre et professeur honoraire à l’Université de Lausanne, qui donnera une conférence sur ce thème samedi 3 juin dans le cadre des Mystères de l’UNIL. «Bien sûr, par définition, aucune de ces personnes n’est allée au-delà. Mais ce nombre est important. D’un point de vue statistique et épidémiologique, il mérite qu’on s’y intéresse.»
Conscience modifiée
Si on peut, d’un point de vue neuronal, éclairer ces moments très particuliers, pour Jacques Besson cela n’explique pas tout. «Le cerveau induit un état de conscience modifiée qui engendre le cortège de réactions habituelles que décrivent les expérienceurs. Cette sorte d’extralucidité dont ils parlent, ça interroge. On entre dans des conceptions qui échappent complètement à la science.»

Jacques Besson l’admet sans détour: «Ce qui m’intéresse dans les expériences de mort imminente, c’est la question du XXIe siècle: qu’est-ce que la conscience?» Un attrait particulier déjà ancien. «J’ai fait ma thèse en 1986 sur les rapports entre psychanalyse et religion. Comme addictologue, je me suis forcément beaucoup intéressé à la conscience modifiée. En tant que protestant libéral mais pratiquant, je sonde les rapports entre la foi et la science, la psychiatrie et la religion, les neurosciences et la spiritualité. Dans ces domaines, la question de la conscience surgit à tous les coins de rue.»
Problème irrésolu
Un pied dans la science et l’autre dans la foi, le psychiatre chemine sur le fil de l’incertitude. «Il y a un inconscient individuel, un inconscient collectif et, peut-être, un inconscient transpersonnel, dans lequel l’être ferait partie d’un tout universel. Métaphoriquement notre cerveau ne serait pas un assemblage de neurones qui fabrique de la conscience mais plutôt une machine qui permet d’accéder à une conscience plus grande.»
Et pour Jacques Besson, par extension et à partir de ces considérations, arriver à un point de butée de la pensée: Dieu est-il une invention de notre conscience, ou le divin réside-t-il en chacun de nous? «Le problème demeure irrésolu. Mais le mystère, et la discussion, reste ouvert. La plus grande humilité qu’on peut avoir en science, c’est de savoir ce qu’on ne sait pas.»
«Expériences de mort imminente: la science face à une énigme», conférence du Pr Jacques Besson dans le cadre des Mystères de l’UNIL. Samedi 3 juin de 14 h à 14 h 45 à l’UNIL. Inscriptions: www.mysteres.ch
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