La notion de progrès est héritée des Lumières et devint la marque de fabrique d’un XIXe siècle voué à l’industrialisation, à une laïcité soustrayant l’individu à l’emprise de l’Église, à des améliorations sociales comme contrepoids à une liberté économique porteuse d’un bien-être dont trop de gens auraient été exclus. Cependant, aujourd’hui, ce progrès est vu comme l’agent destructeur du cadre de vie de ces humains dont il souhaitait l’épanouissement.
Ce discours transparaît des théories qui, au nom de la nécessaire sauvegarde de notre environnement naturel, remettent en cause les acquis civilisationnels des deux derniers siècles. Cette critique se confond parfois avec les appels à une décroissance salvatrice d’une humanité en perdition. Mais la croissance, toujours associée au progrès comme moteur d’une meilleure qualité de vie, peut-elle être remplacée par son contraire comme horizon de l’humanité, au nom de sa propre survie?
«On peut se demander si rompre avec cette logique du progrès ne provoque pas une illusion de perspective.»
Raisonner en ces termes introduit un biais dans le discours historique lui-même. Repérer le véritable progrès dans l’exact opposé de ce qu’il a signifié jusqu’à aujourd’hui implique en réalité un retournement du mouvement historique. Sans être un adepte de Marx, de Hegel ou d’Auguste Comte, on peut se demander si rompre avec cette logique du progrès ne provoque pas une illusion de perspective, par une négation de l’histoire comprise comme le narratif de l’évolution du genre humain.
La vision de l’histoire que véhicule l’idée de décroissance s’apparente à celle contenue dans l’idée de développement durable. Ses textes fondateurs sont formels: l’humanité doit apprendre à consommer les fruits de la Terre sans mordre sur le «capital» lui-même. La formule résonne agréablement aux oreilles perméables aux besoins écologiques de la planète, mais ne laisse-t-elle pas surgir un malentendu? Ne suggère-t-elle pas que le «processus» historique puisse être arrêté, parce que le passé aurait été criminel et le futur irrémédiablement corrompu? Ne trahit-elle pas la soif de perfectionnement propre à l’humain, comme l’a montré Condorcet?
Accepter l’histoire
Il n’est pas question de prétendre que la notion de progrès doit obligatoirement épouser la définition qu’on lui a donnée depuis deux siècles. Mais une correction des effets regrettables d’une industrialisation en expansion, destinée aussi à satisfaire les besoins matériels de l’humanité, ne l’oublions pas, peut-elle s’opérer si on refuse l’histoire dans son déroulement? Violer l’histoire, l’expérience le montre, est rarement riche de progrès (au sens large du terme): les doutes émis par certains à l’égard de la démocratie face au combat contre la détérioration de l’environnement n’apaisent guère nos craintes à ce propos.
Il conviendrait plutôt d’accepter l’histoire dans ses évolutions que l’on peut juger positives ou négatives et dès lors agir sur ces dernières, quitte à utiliser le progrès, y compris technologique, pour rectifier ses erreurs, plutôt que de réinventer une histoire en dehors de l’histoire en action.
Pour aborder le débat entre ces deux réflexions historiques, nous vous invitons à participer au cours public «Le progrès est-il encore possible au XXIe siècle?» organisé par la Faculté des lettres de l’UNIL en collaboration avec la Conférence cantonale des chefs de file d’histoire des gymnases vaudois le lundi 30 janvier 2023 dès 18 h 30 à l’Aula du Palais de Rumine, à Lausanne.
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L’invité – L’histoire est-elle l’ennemie du progrès?
Olivier Meuwly s’interroge sur l’évolution de la manière dont l’humanité considère et satisfait ses besoins matériels.