L'hôtelier s'est fait gardien d'un terrain neutre dans le conflit israélo-palestinien
A la tête d'un mythique cinq étoiles de Jérusalem-Est, Thomas Brugnatelli a été l'autre visage des bons offices de la Suisse six ans durant.

Sous le bel olivier, on s'imagine Lawrence d'Arabie arpenter le patio de l'ancienne demeure de pacha. Il aurait les traits de Peter O'Toole, bien sûr. Dans l'atmosphère surannée de l'American Colony Hotel, à Jérusalem, la réalité côtoie de près les fantasmes qui naissent au Proche-Orient. C'est le cas de le dire. L'officier anglais et son incarnation hollywoodienne ont tous deux séjourné entre ses murs.
Dans la Ville sainte, le luxueux cinq-étoiles est connu de tous. Mais qui sait qu'il est dirigé par un Vaudois? Italien d'origine, citoyen du monde plutôt que rivé à ses racines, Thomas Brugnatelli est pourtant bien un bourgeois de Pully. Il est aussi le dernier d'une lignée d'Helvètes qui se succèdent depuis des décennies à la barre de l'établissement. En ce début de mois de juillet, après six ans en poste, il vit pourtant ses derniers jours à Jérusalem, prêt à passer le relais. «Depuis les années 80, les propriétaires de l'hôtel n'emploient que des directeurs suisses. C'est là qu'on entre dans le domaine du politique», glisse-t-il.
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Le bistrotier et les consuls
Il est bien placé pour le savoir, peu d'hôtels ont l'aura de l'American Colony, dont l'histoire se confond avec celle de Jérusalem-Est, la ville arabe. Pour les Palestiniens, depuis la guerre des Six Jours en 1967, nous sommes là en territoire occupé. Sur la ligne de faille, tout près de la frontière invisible avec la ville juive, le lieu est comme un havre de paix, un terrain neutre.
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Il s'en défendra sans doute, mais Thomas Brugnatelli est une sorte de diplomate en costume d'hôtelier. «Le Ministère de l'intérieur israélien a accepté de m'accorder 18 mois sur mon visa. C'est déjà beaucoup, mais au-delà, c'est impossible.» Le directeur de l'American Colony n'est pas un expatrié comme les autres, surtout quand il a le talent de se fondre parmi les consuls en poste à Jérusalem et de nouer des amitiés avec la bonne société locale.
Acquis au tournant du XXe par un couple de chrétiens américains, dont les descendants sont d'ailleurs toujours les propriétaires, le palais a d'abord abrité une communauté pieuse. Mais il s'est vite mué en hôtel prisé des grands personnages, des reporters, voire des espions. De Winston Churchill à Richard Gere en passant par Shimon Peres, la liste est longue. Dans le hall, on croise un présentateur star de la BBC. «Dès que ça commence à chauffer dans la région, les journalistes remplissent l'hôtel. J'en ai même hébergé chez moi tout récemment. Au fil des ans, certains sont devenus des amis.» L'été est particulièrement mouvementé. Trump a inauguré l'ambassade américaine en mai et Gaza est toujours en feu.
«Les couloirs de l'American Colony Hotel ont toujours accueilli de nombreuses discussions politiques, mais ce n'est pas mon rôle d'y prendre part. Il faut garder les pieds sur terre. Nous ne sommes que des bistrotiers!»
À l'American Colony, l'histoire du conflit israélo-palestinien se raconte, mais elle se fait également. En prélude aux Accords d'Oslo, la mythique chambre 16 a accueilli les premières négociations entre Israéliens et Palestiniens arabes. Comme d'autres directeurs avant lui, Thomas Brugnatelli aurait de quoi dire, s'il n'y avait son devoir de discrétion. «Ces couloirs ont toujours accueilli de nombreuses discussions politiques, mais ce n'est pas mon rôle d'y prendre part. Il faut garder les pieds sur terre. Nous ne sommes que des bistrotiers!» Dans le chaudron du Proche-Orient, cette humilité goguenarde fleure bon les terrasses de Lavaux.
De Lavaux au Proche-Orient
«Je suis Vaudois dans l'âme et dans le sang», lâche-t-il comme pour se justifier. C'est qu'il ne cache pas qu'il a le goût du large. Avant Jérusalem, il a travaillé dans de grands hôtels entre la Suisse et les États-Unis, et après son départ, il prendra les commandes d'un palace de Varsovie. À vrai dire, son passeport rouge à croix blanche n'a pas plus d'une décennie, mais c'est bien entre Pully et Lausanne qu'il a passé les années qui comptent dans une vie, des petites classes jusqu'à l'École hôtelière. Venus de Côme, son père italien et sa mère danoise ont choisi les rives du Léman pour y élever leur fils.
Ironie du sort, c'est là qu'il a rencontré l'homme qui l'a envoyé en Terre Sainte. Patron de l'Auberge du Raisin, à Cully, aussi connu pour avoir dirigé le Lausanne-Palace, Jean-Jacques Gauer est un ami. Et il n'est autre que l'administrateur de l'American Colony. «Pour convaincre Thomas de prendre la direction de l'hôtel, j'ai pris des billets d'avion et je l'ai amené à Jérusalem!» Pour l'intéressé, la proposition est vite devenue irrésistible. «Je suis plutôt un téméraire, un aventurier, donc ça ne m'effrayait pas.» Et la famille? «Étant Brésilienne, ma femme a une idée de la violence qui règne dans les favelas. Ici, il n'y a rien de tel.» À voir le visage de son fils de 11 ans, à la veille du grand départ, il serait bien resté encore un peu. «Il était temps qu'il vive autre chose», estime pourtant son père.
En six ans, Thomas Brugnatelli s'est attaché à Jérusalem-Est, une ville «vivante», et à son personnel, essentiellement palestinien. «J'en ai passé du temps à montrer comment placer l'anse et la cuillère d'une tasse à café comme une montre indiquant 4 h 20! Bien des gens viennent de milieux qui n'ont absolument aucune exposition au luxe.» Pour autant, il n'a pas appris l'arabe, pas plus que l'hébreu. «Un précédent directeur m'a conseillé de m'en tenir à l'anglais pour ne jamais donner l'impression de favoriser l'un ou l'autre côté.»
S'il a pris un parti, c'est celui de faire vivre l'hôtel. «Quand je suis arrivé ici, l'American Colony était toujours plein. Désormais, il faut le remettre sur la carte.» Jusqu'en 2012, Tony Blair occupait un étage entier avec ses équipes en tant que médiateur dans le processus de paix. Il a déménagé pour des questions de budget. Les journalistes aussi se font plus rares, crise des médias oblige. Pour Thomas Brugnatelli, la clientèle potentielle se trouve désormais parmi les Israéliens. «L'American Colony a longtemps été le seul endroit de Jérusalem-Est où les Juifs osaient se rendre.» Son espoir: qu'à l'avenir, ils n'y viennent plus seulement pour des négociations secrètes.
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