L'humaniste filme depuis 25 ans la complexité des êtres
La Genevoise qui a réalisé «Romans d'ados» livre «Romans d'adultes». Avec toujours cette envie de mettre en avant le positif.

Loin de l'agitation des studios de la RTS, Béatrice Bakhti fait son autre 50% chez elle, à Carouge, au siège de Troubadour Films. Son bureau fait partie d'un petit appartement au 2e étage de la rue Ancienne 34, propriété de ses parents. La porte-fenêtre s'ouvre sur un grand balcon surplombant une terrasse ombragée. L'ambiance est calme et silencieuse, propice à la concentration nécessaire à ses activités créatrices.
Trois écrans en stand-by rappellent d'ailleurs que cet entretien n'est qu'une parenthèse dans l'intense travail qui l'occupe actuellement, pour la phase finale du montage du film documentaire Romans d'adultes, une suite à Romans d'ados, une plongée dans l'adolescence de sept jeunes d'Yverdon réalisée sur sept ans.
Ce jour de fin août, Béatrice Bakhti est soulagée, car l'opération de crowdfunding a abouti. Plus de 200 contributeurs ont versé plus de 42 000 francs. La somme permettra de terminer le film. «Malgré nos 25 ans d'existence, nous n'avons jamais réussi à séduire les commissions du cinéma suisse pour obtenir un peu d'argent de l'Etat. Heureusement, nous sommes régulièrement soutenus par la RTS, qui joue vraiment son rôle de service public.»
«Aucune autre télévision au monde ne se serait engagée financièrement pour un projet de documentaire comme Romans d'ados»
Dans le livre qu'ils ont publié en 2016 à l'occasion des 25 ans de Troubadour Films, Béatrice et Nasser Bakhti, cofondateurs de cette société de production indépendante, ont d'ailleurs consacré tout un chapitre à souligner la nécessité d'un tel service. «Aucune autre télévision au monde ne se serait engagée financièrement pour un projet de documentaire comme Romans d'ados, avec un tournage étalé sur sept ans, et deux ans de postproduction», relève la réalisatrice du film.
L'humain au cœur de son travail
Avec Romans d'adultes, l'approche est bien différente. Le film a été conçu pour faire le point, sept années après la diffusion du premier volet. «Les gens nous demandaient ce que ces jeunes Yverdonnois étaient devenus. Alors on les a contactés. Certains ne voulaient plus rien savoir, d'autres se sont montrés ouverts. Plusieurs ont une actualité intéressante, avec des histoires très différentes, inattendues…», raconte Béatrice Bakhti, qui a toujours placé l'humain au cœur de son travail.
Pas étonnant pour une diplômée en psychologie de l'Université de Genève. C'est d'ailleurs au cours de ces études qu'elle a eu le déclic pour le cinéma. «J'ai tourné un film sur les mères qui ont fait le choix d'être célibataires. J'étais encadrée par Daniel Karlin, un réalisateur qui aimait travailler sur le long terme. Par exemple, il suivait un enfant psychotique et pensait que la présence de la caméra, en tant qu'élément externe à sa réalité, pouvait lui être utile». Aucun doute, cette expérience fut fondatrice.
Aujourd'hui encore, Béatrice Bakhti pense qu'une caméra introduite dans une famille peut avoir un effet positif, à condition que cela soit fait avec bienveillance, comme dans Romans d'ados.
L'amour rencontré à Londres
Cette envie de faire des films documentaires l'a menée à suivre la London International Film School. C'est dans cette ville qu'elle a rencontré son futur époux, Nasser, qui travaillait comme serveur dans un bar. «C'était le seul bistrot qui avait un café correct, se souvient-elle. J'ai d'abord découvert qu'il parlait français, puis que c'était un passionné de cinéma. Parfois, après son service, je l'introduisais en cachette pour qu'il suive les cours.» Le couple s'éclate dans ce Londres des années 80. Puis se marie, et met au monde un premier enfant, Karim, en 1987.
De son côté, Nasser suit une école d'art dramatique. Il est doué pour l'écriture de scénarios. Et Béatrice se spécialise dans le montage. Le binôme se complète. Dans l'ambiance stimulante de la capitale anglaise, ils décident alors de créer Troubadour Films. Une grande aventure cinématographique commence.
Les débuts sont encourageants. Les deux troubadours de Londres décrochent un reportage proposé par Channel 4. Pour Béatrice, ce fut l'occasion de découvrir l'Algérie, pays d'origine de son mari. Nasser y fait le portrait de son père, qui avait fait le tour de l'Algérie à pied. Mais c'est une période sombre. Les débuts du terrorisme. Et Béatrice est enceinte d'un deuxième garçon. «Là, j'ai réfléchi à l'avenir de nos enfants, et j'ai décroché un boulot à la TSR depuis Londres. On a décidé de rentrer à Genève. Ce fut un choix douloureux pour Nasser.»
«Béatrice a la technique du montage et la psychologie qui permet d'établir une confiance avec les protagonistes pour obtenir de bons témoignages»
A la RTS, Béatrice Bakhti a collaboré à la réalisation de nombreuses émissions. Elle a récemment quitté Temps Présent pour Signes, consacrée au monde de la surdité. En parallèle, elle poursuit son travail au sein de Troubadour Films, qui bénéficie des compétences croisées du couple. «Béatrice a la technique du montage et la psychologie qui permet d'établir une confiance avec les protagonistes pour obtenir de bons témoignages, relève Nasser Bakhti. Moi, j'amène la cohérence narrative, l'évolution dramaturgique.»
Dans l'ouvrage célébrant les 25 ans de la maison de production, on y trouve des hommages poignants de nombreux professionnels de la TSR, comme Claude Torracinta, Raymond Vouillamoz, Pierre-Pascal Rossi, Jean-Philippe Rapp ou Irène Challand: «Tout ce qu'ils développent ou réalisent part d'une intime conviction à partager une expérience sociale et humaine», déclare cette dernière.
Une curiosité intacte
Béatrice Bakhti, à l'âge de 58 ans, conserve une curiosité intacte pour les humbles et les anonymes. «Je suis toujours intéressée à comprendre les gens et à montrer les aspects positifs de l'être humain. Même au montage, où je revois la même réalité à plusieurs reprises, j'ai l'occasion de décrypter la complexité des gens afin de mieux les montrer dans leur épaisseur.» Les deux projets de films que le couple Bakhti va réaliser ensemble restent dans la même ligne. L'un donne la parole à des femmes syriennes qui ont été victimes de viol. L'autre s'interroge sur ce qui reste des rêves de nos 20 ans quand on n'a presque plus de temps pour les réaliser. «Si j'avais 20 ans, je suivrais la même voie, mais avec plus d'audace».
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