Parution romandeL’imagination amoureuse au pouvoir
Jérôme Meizoz revient avec un roman qui raconte un amour fantasmé, sur fond de casse automobile et de disparition. Un «anti-polar» subtil et drôle.

Drôle d’endroit pour une «Malencontre». Dans son dernier roman, l’écrivain Jérôme Meizoz plante son intrigue dans un village dominé par une casse automobile, dans une vallée bercée par les tirs qui résonnent au stand et le vacarme de l’autoroute. La localité n’est jamais nommée, mais on l’imagine dans les Alpes. Cela pourrait être en Valais, canton d’origine de l’auteur aujourd’hui installé à Lausanne: «J’ai vraiment inventé ce monde de la casse, sans le situer dans un endroit précis. C’est plutôt un décor.» Car ce que chante cette «Malencontre», c’est l’imagination amoureuse. Celle du «Chinois», comme on l’appelle dans le village, parce qu’il a fait des études de langues orientales et parce qu’on ne comprend pas tout ce qui sort de sa bouche désormais érudite.
Lorsque la dénommée Rosalba disparaît, toute la passion adolescente du «Chinois» pour cette longue fille du coin remonte. Elle, elle n’a jamais remarqué le timide ado énamouré sur sa mobylette. Elle a épousé le deuxième fils du patron de la casse, avant de se volatiliser un jour.
«C’est un hommage à ce pouvoir de l’imaginaire qui nous nourrit tous.»
Cette disparition replonge ce narrateur, dont on sait peu de choses si ce n’est qu’il écrit des romans, dans cette idylle qui n’a existé que dans son esprit: «La plupart des romans parlent de passions vécues. J’ai voulu explorer une histoire d’amour imaginée. Un état typique de l’adolescence. C’est quelque chose qui est pour moi très proche de la fiction, et un hommage à ce pouvoir de l’imaginaire qui nous nourrit tous», détaille l’auteur.
Tandis qu’il rumine mentalement ce qu’aurait pu être leur romance, le narrateur mène aussi l’enquête pour tenter de découvrir ce qui a pu arriver à Rosalba. Une série de propos rapportés, à la façon de comptes rendus de recherches en sciences sociales, donnent une image multiple de la disparue: femme mariée sans histoire ou femme frustrée de cette vie de mère de famille recluse, mangée par un clan aux allures mafieuses? Femme fragile ou femme forte? «L’idée principale du livre, c’est qu’un point de vue est toujours incomplet. On vit dans un monde morcelé, dont on ne peut avoir une vue d’ensemble», poursuit Jérôme Meizoz.
«Anti-polar»
On se retrouve bien loin d’une vérité objective qui se dégagerait au fil des investigations, comme souvent dans les romans policiers. Ici, pas question de remettre en ordre le désordre du monde. «Il y a un petit suspense mais je ne souhaitais pas écrire un roman policier.» Le texte joue plutôt avec les codes du roman noir, «sur un mode plus mélancolique et décalé» observe son auteur. Grand admirateur de James Ellroy ou d’Antonio Munoz Molina, il reconnaît ici d’autres influences, parfois involontaires: «Thomas Bernhard pour les petites phrases en incises, ou Roberto Bolaño, qui a beaucoup joué sur la figure du narrateur érudit».
«Du calme mon garçon»
Son antihéros est d’ailleurs plutôt comique, à se répéter sans cesse: «Du calme, du calme mon garçon», histoire d’éviter le mal de tête que provoque un trop-plein de «considérations épistémologiques». Autodérision? Jérôme Meizoz a longtemps creusé une veine autofictionnelle (dont «Séismes», ou «Faire le garçon», Prix suisse de littérature 2018). Ici, son narrateur clame d’emblée sa lassitude à parler de lui: «Non seulement tu as vidé ton sac cent fois, mais tu as fini par saouler tout le monde avec ces histoires de famille.»
«Veine fictionnelle»
Si ce livre est le plus fictionnel de Jérôme Meizoz, un peu de lui remonte forcément à la surface des mots. Il a notamment puisé dans ses souvenirs pour évoquer son séjour à Paris, où celui qui est aussi professeur de lettres à l’UNIL a fait une partie de ses études. Comme son narrateur, il s’y est bien entendu dire un jour, à propos de son accent valaisan: «Ma parole, mais vous êtes Québécois?»
Le style de Meizoz se reconnaît aussi au mélange des genres, dans un récit intégrant passages descriptifs, poèmes, liste de livres, et tendant presque vers le conte à la fin. Sans oublier la critique sociale, omniprésente dans ses romans. Dans son excursion rêvée en altitude avec Rosalba, il trouve une station aseptisée garantissant «un pur spectacle sans conséquence», avec pour mots d’ordre «spécialité, terroir ou authenticité». Sauf pour cet employé vantant en toute bonne foi «les produits du tiroir».
Quant à la casse automobile, elle raconte à la fois la société de consommation avec ces voitures qui s’empilent jusqu’à boucher l’horizon, et un univers machiste et violent, où les femmes servent avant tout de reproductrices pour le clan. Le tout crée, à l’image des précédents livres, une voix unique, complexe, tendrement drôle et poétique.
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