L'irrésistible ascension d'un ovni de la politique
Rien ne prédestinait Ignazio Cassis, médecin cantonal entré sur le tard en politique, à accéder au Conseil fédéral. Sa famille, ses collègues - adversaires ou alliés - le racontent.

Il a le visage crispé et les traits tirés. Il balaie parfois du regard l'hémicycle. Comme absent. Durant les premières minutes de cette journée d'élection au Conseil fédéral, la pression est lourde sur les épaules d'Ignazio Cassis. L'homme semble fébrile. Et cette posture surprend.
Le Tessinois sort en effet d'une campagne mouvementée où il n'a jamais paru déstabilisé. Pourtant, il a dû assumer le rôle difficile de grand favori et résister aux attaques. Accusé d'être à la botte des assureurs, critiqué pour ses déclarations sur la légalisation de la cocaïne, il a aussi divisé l'opinion en renonçant à son passeport italien. A chaque fois, il assume ses choix. Sa carapace est en téflon. Les polémiques passent et n'accrochent pas. Il se place au-dessus de la mêlée.
«Il connaît le jeu politique, confie Bixio Caprara, président du PLR tessinois. Alors que nous étions critiqués pour l'avoir désigné comme unique candidat, sa sérénité a été un atout majeur. Jamais arrogant, il est un mélange de force et de tranquillité. Des qualités qu'il trouve notamment dans la course à pied.»
Fulvio Pelli, ancien président du PLR Suisse, a du mal à cacher ses émotions. «Quand Ignazio Cassis est arrivé à Berne, il ne connaissait pas la politique, mais savait – en tant que médecin cantonal – ce que signifie l'engagement pour les autres. Il a mûri et gagné en stature.» A-t-il été son maître spirituel dans cette aventure? «Pas du tout.»
Une vie marquée par l'imprévu
Si Ignazio Cassis est aujourd'hui conseiller fédéral, rien dans son parcours ne présageait un tel destin. Sa vie est surtout marquée par l'imprévu. A 13 ans, il tente de franchir une barrière et s'arrache l'auriculaire. Amputé d'un doigt, il abandonne le piano pour la trompette; le lancer du poids pour la course à pied. Il hésite à devenir ingénieur mais se tourne vers la médecine. La politique viendra plus tard. En 2003, le PLR tessinois cherche un médecin pour sa liste en vue des élections fédérales. Il accepte et finit premier des viennent-ensuite. L'élection de Laura Sadis au gouvernement le propulse au Conseil national en 2007. Dix ans plus tard, il accède à la fonction suprême.
Une ascension fulgurante que commentent deux de ses trois sœurs, venues à Berne pour vivre l'événement. «Cela ne m'a pas vraiment étonnée qu'il se lance en politique, raconte Manuela. Plus jeune, il était déjà très actif dans les sociétés du village, comme la fanfare. Il a même été le représentant de sa classe.» Mirna rappelle aussi que c'est lui qui a ouvert la première consultation sida à Lugano. «Après ses études, on a senti qu'il voulait s'investir pour la population.» Et de nous confier qu'avant de se lancer dans la course au Conseil fédéral il a réfléchi aux conséquences personnelles de ce choix, en se retirant quelque temps pour faire le point.
Le parcours du Tessinois est atypique, son positionnement politique aussi. Durant ses premières années, il milite pour la légalisation du cannabis et s'engage pour la défense de la culture italophone. Il est alors un PLR modéré, l'homme de droite à qui les élus socialistes vont faire signer leurs motions.
Tout change en quelques années. Ignazio Cassis quitte la vice-présidence de la Fédération des médecins suisses et prend la présidence de Curafutura, l'une des faîtières des caisses maladie. Son influence augmente, tout comme le nombre de ses lobbys. Parfait trilingue, il accède en 2015 à la présidence du groupe PLR. Il surprend alors par la dureté de ses positions. La gauche tousse. Elle finira par le renier, quand il décide en pleine campagne pour le Conseil fédéral de renoncer à sa nationalité italienne.
L'homme aux deux visages
Aujourd'hui, ils sont plusieurs à relativiser ce durcissement de ligne politique. «Il faut distinguer l'homme du chef de groupe, explique Raphaël Comte (PLR/NE). Ignazio Cassis a une indépendance d'esprit. Il peut jouer un rôle de pivot.» Martin Candinas (PDC/GR) abonde. «Ce n'est pas un soldat de l'UDC, mais quelqu'un de raisonnable qui saura trancher dans l'intérêt du pays.» Et Silva Semadeni (PS/GR), coprésidente du groupe Italianità, d'ajouter. «Il a la carrure pour devenir un homme d'Etat.»
Une voix qui détonne à gauche, car la méfiance reste de mise. Manuel Tornare (GE/PS) fait partie de ces élus qui dénoncent un tour de force de la droite. Jacques-André Maire (PS/NE), qui a souvent côtoyé Cassis, est plus modéré. «J'ai apprécié travailler avec lui au sein d'Helvetia Latina. Humainement, il est très convivial. Il a fait beaucoup pour la défense des minorités.» Il espère toutefois retrouver l'homme ouvert aux compromis. Un discours que l'on retrouve chez Mathias Reynard (PS/VS). «C'est un homme intelligent, soucieux de la cohésion nationale et très ouvert sur les questions de société. Durant cette campagne, il a montré un autre visage. Il a intérêt à mettre de côté ce profil «à droite toute» pour redevenir l'homme modéré qu'il était.»
Ignazio Cassis a en tout cas marqué des points dans son discours en citant Rosa Luxembourg, figure tutélaire du socialisme. Rebecca Ruiz (PS/VD) est la première surprise. «J'espère qu'il sera à la hauteur de ses promesses et saura se libérer de ses liens avec les lobbies.»
Et Daniel Brélaz (Les Verts/VD) de conclure. «C'est au pied du mur qu'on reconnaît le maçon.»
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