L'omniprésence de l'image pour mieux attaquer le réel
Les 23e Journées photographiques de Bienne font monter les enchères et la marée de la représentation

La tentation d'apposer une thématique à sa programmation fait partie des gènes des Journées photographiques de Bienne. Sarah Girard, directrice depuis l'an dernier et qui signe sa première édition – la 23e de l'histoire de la manifestation – n'a pas dérogé à la tradition. La cuvée 2019 de 27 expositions se présente ainsi sous le signe du «flood», un terme que l'on peut traduire par «inondation», «débordement», mais dont l'usage contemporain se réfère à l'informatique, désignant les attaques de plateformes du web par surcharge de requêtes dans le but d'empêcher le fonctionnement d'un réseau.
Nul besoin, pourtant, de se passionner pour internet et le hacking avant de préparer sa visite à Bienne, au milieu de projets qui vont de la vidéo à l'installation, en passant évidemment par des pratiques plus classiques de l'image et de la photographie.
Tenir une ligne thématique relève de la gageure, mais plusieurs travaux s'y raccordent parfaitement comme le «Social Printer» du Lausannois Romain Roucoules qui détourne les images confinées à la circulation des réseaux sociaux sur des mini-imprimantes, crachant – du moins quand elles fonctionnent – des rouleaux de papier qui deviennent monceaux, métaphores de ce flux, accumulation visuelle dont la production se transforme presque instantanément en oubli, en déchet – habituellement octets perdus dans le labyrinthe galactique du numérique, ici papier jonchant le sol.
Augustin Rebetez en panique aquatique
La référence peut aussi prendre un tour très littéral. C'est le cas de l'installation et surtout du film «Liquid Panic» d'Augustin Rebetez, enfant terrible (et conquérant) de l'art jurassien sans frontières. Opérant une relecture du fameux film de Fischli/Weiss «Der Lauf der Dinge» (Le cours des choses) à la lumière trouble du «Pulp Fiction» de Quentin Tarantino, il y met en scène une suite burlesque de manipulation aqueuse dans une logique frénétique et destructrice, aussi attentive au contenu (l'eau) qu'aux contenants divers. Lancers de couteaux sur ballons gonflés d'eau, jeux d'éponges colorées, explosion d'une bouteille de Coca, sciage de canettes de bière en alu, jets de bassines mousseuses… L'inondation en devient comique, acharnée, follement prosaïque, mais toujours directement due à la main de l'homme contrairement au ballet causal des objets pyrotechniques de Fischli/Weiss.
Perspectives chinoises
Les liens avec la thématique peuvent aussi se distendre, sans pour autant que les œuvres ne perdent de leur intérêt. Il faut absolument visionner la vidéo «The Bliss of Conformity» de Yingguang Guo, Chinoise qui s'est installée dans un parc de Shanghaï où se rencontrent les parents désireux de trouver un conjoint pour leur progéniture. Via sa caméra cachée sur elle, devant laquelle défilent toutes sortes de curieux, l'artiste dévoile un impudique marché aux bestiaux à épouser, essuyant les remarques répétées d'aînés qui lui reprochent de ne pas avoir mentionné son âge sur sa feuille de présentation. «Mais je suis là, vous pouvez me le demander», rétorque-t-elle imperturbablement…
Saisissant, tout comme le travail «Experimental Relationship» de sa compatriote Pixy Liao. Dans cette série de photographies étudiées, elle se met en scène, elle et son compagnon, en jouant sur les codes de représentation du couple dont elle intervertit ou trouble à loisir les perspectives masculines tout en jouant d'une distanciation sophistiquée. La hiérarchie de l'intime en est-elle bousculée ou seulement inversée? En tout cas, le pouvoir appartient in fine à celui qui détient la maîtrise de l'image.
Le «flux» dans la cible du «flood»
Même quand les expositions se situent au cœur de «flux» dans la cible du «flood», les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Dans «False Positives», l'idée d'Esther Hovers de se pencher sur les algorithmes de repérage de comportements suspects associés à des caméras de surveillance est pertinente mais peine à exprimer visuellement les questions ouvertes. Même remarque pour le «#Blue Screen Temple» de Mathieu Merlet Briand dont le monument en forme de temple classique tapissé de pixels bleutés symbolisant les écrans indiquant un bug paraît très anecdotique, même si les enfants pourront y jouer dans le jardin du Nouveau Musée.
Quel que soit le regard que l'on porte sur cette 23e édition, les travaux qu'elle réunit ont cela en commun de circonscrire un territoire clair, aussi quand ils frayent avec les codes d'un art contemporain trop souvent complaisamment abscons. Emportée dans des flux virtuels, l'image d'obédience photographique garde un lien privilégié avec le réel, même quand elle lui conteste sa prédominance.
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