Toute proposition de rectifier l’orthographe entraîne une forte résistance. On l’a encore vu en février, lorsque le Grand Conseil vaudois a demandé de différer une réforme, depuis validée par le Conseil d’État. Détendons-nous un peu, en rappelant qu’aujourd’hui, la clé de la cave et la clef de la maison filent le parfait amour dans nos sacs. Les langues ont toujours évolué sous la pression de celles et ceux qui les utilisent. Et puis, elles n’ont pas à imposer leurs règles.
Ces règles, justement, seraient de moins en moins connues. En décembre, «Le Figaro» expliquait que, selon une enquête du ministère français de l’Éducation auprès d’enfants de 10 à 11 ans, le nombre moyen d’erreurs sur une même dictée a presque doublé en 34 ans. On peut imaginer que la tendance générale se retrouve en Suisse romande. De la réduction du nombre d’heures à l’abus d’écrans, plusieurs pistes sont avancées. Il faut aussi rappeler qu’écrire en français n’est pas aisé.
Les accents désespèrent beaucoup de gens. L’apprentissage de l’accord du participe passé n’a jamais été une partie de plaisir. Maîtriser le pluriel des couleurs n’exige pas seulement de se rappeler des exceptions, mais aussi des exceptions des exceptions. Imbécillité, gaufre, reblochon, en l’occurrence, Méditerranée, coccyx… Il y a pléthore de dilemmes lors d’une dictée.
Deux profs belges, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, démontrent avec humour que notre orthographe n’a rien de logique. Dans une vidéo qui sert de base à cette réflexion, ils soulignent qu’elle a été pensée comme un critère de sélection et posent une question: «On se demande comment respecter l’orthographe, mais l’orthographe elle-même est-elle respectable?»
J’apprécie la sonorité du français. J’aime le lire et l’écrire. Mieux, je trouve que la dictée peut être un exercice mental plaisant. Mais la beauté d’une langue se trouve dans ce qu’on en fait - comme la poésie ou la possibilité d’échanger avec l’autre. Et les bibliothèques permettent de conserver des livres, pas d’admirer des cédilles.
«Trop souvent, il y a ceux qui maîtrisent, et ceux qui ne maîtrisent pas. Ceux qui méprisent, aussi.»
Faut-il le préciser? La faute d’accord ne figure pas dans le Code pénal. Trop souvent, il y a ceux qui maîtrisent, et ceux qui ne maîtrisent pas. Ceux qui méprisent, aussi, oubliant un peu vite que le français est suffisamment complexe pour que personne ne soit à l’abri du couperet du dictionnaire.
Si les têtes ne tombent pas, on pousse des gens au silence. Certains affichent sans souci leur orthographe hésitante. Mais dans le milieu populaire où j’ai grandi, d’autres craignent qu’un circonflexe mal placé ne trahisse le manque d’études supérieures. Un vrai complexe, qui transforme l’orthographe en un dictateur, dont il faut connaître toutes les règles avant d’écrire quoi que ce soit.
Bien sûr, on peut féliciter toutes les personnes qui maîtrisent le Grevisse. Je le fais comme je salue les champions d’autres disciplines, qu’elles soient sportives, intellectuelles ou artistiques. Toutefois, n’oublions pas que le but d’une langue est que tout le monde puisse s’exprimer. Et qu’au concours d’orthographe, ChatGPT a déjà gagné.
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La rédaction – L’orthographe n’a pas à dicter sa loi
Écrire en français n’est pas facile, alors cessons de critiquer celles et ceux qui ne maîtrisent pas toutes les règles orthographiques de notre langue!