Nouveauté littéraireLudmila Oulitskaïa, à la lisière de l’ici et de l’au-delà
La grande écrivaine russe publie un recueil de nouvelles qui interrogent avec une grâce rare notre appréhension de la mort.

Que faudrait-il penser de cette part d’invisible qui habite les êtres, de cette énergie intangible et peut-être immortelle qui, selon les expérimentations du médecin Duncan MacDougall, tient en 21 grammes? «Personne ne peut dessiner un atlas de l’âme», nous dit la grande écrivaine russe Ludmila Oulitskaïa, et s’approcher de la frontière qui la sépare du corps «est risqué et dangereux».
Zestes de fantastique
On trouve ici un souffle, court et doux à la fois, et une langue économe, ciselée dans toutes ses rondeurs, qui place le lecteur ailleurs, loin de cette fresque monumentale qu’a été «L’échelle de Jacob», ouvrage incontournable de l’auteure de l’Oural. Ces brèves histoires évoquent ce qu’il y a de réconfortant dans une réconciliation, par exemple. À travers les retrouvailles de deux sœurs en conflit depuis une éternité et que la mort de la mère finit par rapprocher: «Dans l’avion, elles relevèrent l’accoudoir qui séparait leurs fauteuils, Nina nicha son épaule chétive et son visage de moineau au creux de la grosse poitrine molle de sa sœur. Et elles s’endormirent toutes les deux. Elles étaient délivrées de la solitude.»
Ailleurs, des zestes de fantastique se faufilent dans le quotidien d’autres figures ordinaires. C’est alors une prodigieuse faiseuse de contes qui émerge dans ces pages, à travers l’expérience d’un médecin légiste ébranlé par sa dernière autopsie, et qui sera emporté par les notes du musicien qu’il vient d’éviscérer. Ou encore par le destin d’une femme, Sonia, qui se voit pousser des ailes lui permettant de rejoindre le monde des papillons.
La mort et ses tragédies. Oulitskaïa en esquisse les contours avec un sens émouvant de la suggestion. Cet art irrigue les adieux de l’agonisante Zarifa à ses amies. Il accompagne aussi le sort d’Alice et de son amour tardif, par une allusion foudroyante. Une voiture s’encastre dans un lampadaire, une des victimes, «qui tenait un bouquet de fleurs, fut tuée sur le coup».
«Le corps de l’âme» Ludmila Oulitskaïa, trad. du russe par Sophie Benech, Gallimard, 208 p.
Rocco Zacheo a rejoint la rédaction de la Tribune de Genève en 2013; il s'occupe de musique classique et d'opéra et se consacre, de manière ponctuelle, à l'actualité littéraire et à des événements culturels disparates. Auparavant, il a évolué pendant neuf ans au journal Le Temps et a collaboré avec la RTS La Première.
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