Dialecte vaudoisMarie-Louise Goumaz, 96 ans, transmet le patois comme un flambeau
Plans-Fixes consacre un film à l’ancienne présidente de l’Association Vaudoise des Amis du Patois (AVAP), doyenne du patois vaudois.

«A vo que mè lyède, n’âoblyâde pas noûtron bî dèvesâ dâi z’autro yâdzo.»* À 96 ans, le regard de Marie-Louise Goumaz étincelle d’une invincible jeunesse lorsqu’elle converse en patois. Assise dans son appartement à Chexbres, surplombant l’église du village et le Léman, elle se confie à Jacques Poget, ancien rédacteur en chef de «24 heures», à l’occasion du 355e Plan-Fixe. Fidèle à la signature de cette série de moyens métrages, ni reprise ni coupure pour ce film en noir et blanc, qui sera projeté ce mardi soir à la Cinémathèque, à Lausanne.
Un dérivatif devenu inspiration
Née à Payerne en 1925, Marie-Louise Goumaz ne garde du patois qu’un vague souvenir de ses grands-parents lisant Le Conteur vaudois. «Ils riaient, mais je ne comprenais rien», se souvient-elle. Il faudra attendre ses 39 ans, et la dépression de son mari, pour que ce dialecte débarque dans sa vie. L’apprentissage du patois devient alors une bouée de secours à laquelle le couple se rattache. «C’était un dérivatif, une manière de se changer les idées», explique-t-elle. Si son époux ne mord pas à l’hameçon, la Vaudoise y découvre une vocation. «Ça m’a allumé un feu d’envie de savoir lire et parler ce langage.» «À quoi bon apprendre une langue morte?» lui ont martelé ses proches. «À avoir du plaisir», répond-elle encore.
Un plaisir lisible sur chaque trait de son visage. Caissière puis présidente de l’Association Vaudoise des Amis du Patois (AVAP), Marie-Louise Goumaz a consacré les vingt-cinq dernières années à raviver ce langage de l’intimité. «C’est mon petit coin secret où je me sens bien», partage-t-elle alors qu’un rayon de soleil auréole ses cheveux blancs.
Ce moyen métrage nous emporte aussi dans les souvenirs d’une enfance au début du XXe siècle. De l’éducation stricte de son père, et du décès de sa mère, Marie-Louise Goumaz garde une mémoire intacte, aux émotions souvent palpables. De nature littéraire, elle se réfugie tôt dans les pages de ses bouquins. Adulte, ce sera également sur le papier qu’elle laissera divaguer son imaginaire, en français comme en patois. Entre contes, poèmes et nouvelles, elle se représente le passé de nos ancêtres: «En lisant le patois, on se reporte à deux siècles en arrière. On retrouve la mentalité d’avant, ce qui faisait le bonheur et le malheur des gens.» Une époque plus difficile, de laquelle elle puise «un grand respect pour ceux qui ont tenu bon».
Réinventer le parler du passé
Banni des écoles en 1806, la forme vaudoise du franco-provençal n’est plus parlée que par une trentaine de personnes dans le canton, dont seule une poignée de manière courante. Pas de quoi faire disparaître le sourire de Marie-Louise Goumaz: «Ceux qui s’y intéressent aujourd’hui sont des mordus, des fidèles.»
Enseignant encore la langue de nos aïeux depuis son appartement, la nonagénaire fait preuve d’innovation. «Les jeunes élèves aimeraient communiquer sur leur environnement mais il n’existe souvent pas d’équivalents contemporains.» Lorsque les mots manquent, les néologismes sont les bienvenus. Avec l’AVAP, elle s’attèle à inventer des termes pour actualiser le vocabulaire patoisant. Un travail «sans fin, et délicieux». Chaussant ses lunettes, elle feuillette le Dictionnaire du patois vaudois, dit «Duboux»: un téléphone se nomme ainsi «guelenâre» («celui qui sonne») et un aspirateur «niflye-puffa» («renifler la poussière»). Avec Marie-Louise Goumaz, le patois vaudois n’a pas dit son dernier mot.
La Première de «Vivre en Patois» (50 min) aura lieu ce mardi à 18h30 à la Cinémathèque suisse, à Lausanne.
*«À vous qui me lisez, n’oubliez pas notre bon parler d’autrefois.»
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