L’approvisionnement en médicaments fait face, partout, à une incertitude d’une rare intensité. Début avril, par exemple, une alerte était lancée concernant l’aspirine injectable, nécessaire en situation d’urgence avec suspicion d’infarctus ou d’AVC. Il fallait privilégier autant que possible la forme orale du médicament, le stock de réserve étant épuisé. Dans la plupart des hôpitaux, une coordination spécifique a permis de rassembler et rationner les ampoules disséminées dans les services. Depuis, la situation s’est détendue, le produit est disponible de manière contingentée. Toutefois, l’incertitude perdure sur de nombreux produits.
Je prends un médicament depuis quarante ans. Un antiépileptique bon marché qui n’intéresse personne. Je me demande ce que deviendrait ma vie si celui-ci n’était plus disponible. La situation expose les patients à des risques. Elle force au respect du personnel soignant et, en particulier ici, des services de pharmacie. Les quêtes d’alternatives pour gérer les manques sont un combat quotidien.
Et que disent les fabricants? Ils demandent une augmentation des prix, surtout des génériques, particulièrement exposés au risque de pénurie. L’argument sous-jacent est qu’en étant peu, voire non rentables, ils sont moins attractifs à produire. Pourtant, quand on leur fait remarquer qu’en Suisse les génériques coûtent deux à quatre fois plus cher que dans le reste du monde, ils répondent par un sophisme: «S’ils étaient moins chers, la pénurie serait pire!» Sauf que la situation chez nous est en tout point similaire à ce que l’on observe en France ou en Allemagne: pas mieux ni pire, mais plus cher.
L’argument prend le prétexte de la pénurie pour appuyer une revendication commerciale. Les tensions s’expliquent avant tout par les perturbations dans la chaîne de production et d’approvisionnement en Asie (en Chine surtout) où la fabrication de la plupart des principes actifs a été délocalisée. Les fabricants diront que ces délocalisations sont une réponse à la demande de baisse des prix. Elles visent aussi à optimiser leur marge dont on ne sait pas grand-chose. La pénurie a donc ses gagnants et ses perdants.
Pour stopper la pénurie, ou au moins la contrôler, à long terme, les chaînes de production devraient être relocalisées et démultipliées: la Suisse ne peut, seule, mener à bien ce projet complexe. Elle a besoin de l’Europe. À court terme, il existe des solutions que la FRC promeut avec le BEUC (la faîtière européenne des consommateurs) mais aussi avec les associations de pharmaciens: élargir la liste de produits pour lesquels une annonce de pénurie est obligatoire et les notifier au moins six mois à l’avance. Actuellement, le droit fédéral donne cinq jours aux fabricants pour notifier un manque dans une liste restreinte de produits à compter du moment où celui-ci est connu. Les stocks de réserves des médicaments jugés essentiels devraient être augmentés et l’analyse du stock menée de manière plus précise en communiquant plusieurs mois à l’avance les capacités de livraison. Bien que la Confédération ait créé une task force, des initiatives – valables et nécessaires – sont prises localement. Les HUG ont, par exemple, créé un partenariat avec des pharmacies privées. Elles devraient être prises à l’échelle du pays.
Ces mesures exigent la mobilisation des fabricants, auxquels on pourrait octroyer certaines concessions si et seulement s’ils jouaient pleinement le jeu: mettre de l’intérêt général dans leur souci comptable. Parce que les médicaments ne sont pas des biens comme les autres et qu’au bout de la chaîne d’approvisionnement il y a nous, les patients.
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Carte blanche – Médicaments: contrer la pénurie avec les fabricants